Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Catégories : CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE, Des poèmes

Prométhée,Poème de Louise Ackermann

Frappe encorJupiteraccable-moimutile
L
'ennemi terrassé que tu sais impuissant !
Écraser
 n'est pas vaincre, et ta foudre inutile
S
'éteindra dans mon sang,

Avant d'avoir dompté l'héroïque pensée
Qui
 fait du vieux Titan un révolté divin ;
C
'est elle qui te brave, et ta rage insensée
N
'a cloué sur ces monts qu'un simulacre vain.
Tes
 coups n'auront porté que sur un peu d'argile ;
Libre
 dans les liens de cette chair fragile,
L
'âme de Prométhée échappe à ta fureur.
Sous
 l'ongle du vautour qui sans fin me dévore,
Un
 invisible amour fait palpiter encore
Les
 lambeaux de mon cœur.

Si
 ces pics désolés que la tempête assiège
Ont
 vu couler parfois sur leur manteau de neige
Des
 larmes que mes yeux ne pouvaient retenir,
Vous
 le savezrochersimmuables murailles
Que
 d'horreur cependant je sentais tressaillir,
La
 source de mes pleurs était dans mes entrailles ;
C
'est la compassion qui les a fait jaillir.

Ce
 n'était point assez de mon propre martyre ;
Ces
 flancs ouverts, ce sein qu'un bras divin déchire
Est
 rempli de pitié pour d'autres malheureux.
Je
 les vois engager une lutte éternelle ;
L
'image horrible est là ; j'ai devant la prunelle
La
 vision des maux qui vont fondre sur eux.
Ce
 spectacle navrant m'obsède et m'exaspère.
Supplice
 intolérable et toujours renaissant,
Mon
 vrai, mon seul vautour, c'est la pensée amère
Que
 rien n'arrachera ces germes de misére
Que
 ta haine a semés dans leur chair et leur sang.

Pourtant
, ô Jupiter, l'homme est ta créature ;
C
'est toi qui l'as conçu, c'est toi qui l'as formé,
Cet
 être déplorableinfirmedésarmé,
Pour
 qui tout est dangerépouvantetorture,
Qui
, dans le cercle étroit de ses jours enfermé,
Étouffe
 et se débat, se blesse et se lamente.
Ah !
 quand tu le jetas sur la terre inclémente,
Tu
 savais quels fléaux l'y devaient assaillir,
Qu
'on lui disputerait sa place et sa pâture,
Qu
'un souffle l'abattrait, que l'aveugle Nature
Dans
 son indifférence allait l'ensevelir.
Je
 l'ai trouvé blotti sous quelque roche humide,
Ou
 rampant dans les bois, spectre hâve et timide
Qui
 n'entendait partout que gronder et rugir,
Seul
 affamé, seul triste au grand banquet des êtres,
Du
 fond des eaux, du sein des profondeurs champêtres
Tremblant
 toujours de voir un ennemi surgir.

Mais
 quoi ! sur cet objet de ta haine immortelle,
Imprudent
 que j'étais, je me suis attendri ;
J
'allumai la pensée et jetai l'étincelle
Dans
 cet obscur limon dont tu l'avais pétri.
Il
 n'était qu'ébauché, j'achevai ton ouvrage.
Plein
 d'espoir et d'audace, en mes vastes desseins
J
'aurais sans hésiter mis les cieux au pillage,
Pour
 le doter après du fruit de mes larcins.
Je
 t'ai ravi le feu ; de conquête en conquête
J
'arrachais de tes mains ton sceptre révéré.
Grand
 Dieu ! ta foudre à temps éclata sur ma tête ;
Encore
 un attentat, l'homme était délivré !

La
 voici donc ma fauteexécrable et sublime.
Compatir
, quel forfait ! Se dévouer, quel crime !
Quoi !
 j'auraisimpunidéfiant tes rigueurs,
Ouvert
 aux opprimés mes bras libérateurs ?
Insensé !
 m'être ému quand la pitié s'expie !
Pourtant
 c'est Prométhée, oui, c'est ce même impie
Qui
 naguère t'aidait à vaincre les Titans.
J
'étais à tes côtés dans l'ardente mêlée ;
Tandis
 que mes conseils guidaient les combattants,
Mes
 coups faisaient trembler la demeure étoilée.
Il
 s'agissait pour moi du sort de l'univers :
Je
 voulais en finir avec les dieux pervers.

Ton
 règne allait m'ouvrir cette ère pacifique
Que
 mon cœur transporté saluait de ses vœux.
En
 son cours éthéré le soleil magnifique
N
'aurait plus éclairé que des êtres heureux.
La
 Terreur s'enfuyait en écartant les ombres
Qui
 voilaient ton sourire ineffable et clément,
Et
 le réseau d'airain des Nécessités sombres
Se
 brisait de lui-même aux pieds d'un maître aimant.
Tout
 était joie, amouressorefflorescence ;
Lui-même
 Dieu n'était que le rayonnement
De
 la toute-bonté dans la toute-puissance.

O
 mes désirs trompés ! O songe évanoui !
Des
 splendeurs d'un tel rêve, encor l'œil ébloui,
Me
 retrouver devant l'iniquité céleste.
Devant
 un Dieu jaloux qui frappe et qui déteste,
Et
 dans mon désespoir me dire avec horreur :
« Celui
 qui pouvait tout a voulu la douleur ! »

Mais
 ne t'abuse point ! Sur ce roc solitaire
Tu
 ne me verras pas succomber en entier.
Un
 esprit de révolte a transformé la terre,
Et
 j'ai dès aujourd'hui choisi mon héritier.
Il
 poursuivra mon œuvre en marchant sur ma trace,
 qu'il est comme moi pour tenter et souffrir.
Aux
 humains affranchis je lègue mon audace,
Héritage
 sacré qui ne peut plus périr.
La
 raison s'affermit, le doute est prêt à naître.
Enhardis
 à ce point d'interroger leur maître,
Des
 mortels devant eux oseront te citer :
Pourquoi
 leurs maux ? Pourquoi ton caprice et ta haine ?
Oui
, ton juge t'attend, - la conscience humaine ;
Elle
 ne peut t'absoudre et va te rejeter.

Le
 voilà, ce vengeur promis à ma détresse !
Ah !
 quel souffle épuré d'amour et d'allégresse
En
 traversant le monde enivrera mon cœur
Le
 jour où, moins hardie encor que magnanime,
Au
 lieu de l'accuser, ton auguste victime
Niera
 son oppresseur !

Délivré
 de la Foi comme d'un mauvais rêve,
L
'homme répudiera les tyrans immortels,
Et
 n'ira plus, en proie à des terreurs sans trêve,
Se
 courber lâchement au pied de tes autels.
Las
 de le trouver sourd, il croira le ciel vide.
Jetant
 sur toi son voile éternel et splendide,
La
 Nature déjà te cache à son regard ;
Il
 ne découvrira dans l'univers sans borne,
Pour
 tout Dieu désormais, qu'un couple aveugle et morne,
La
 Force et le Hasard.

Montre-toi
Jupiteréclate alorsfulmine,
Contre
 ce fugitif à ton joug échappé !
Refusant
 dans ses maux de voir ta main divine,
Par
 un pouvoir fatal il se dira frappé.
Il
 tombera sans peur, sans plainte, sans prière ;
Et
 quand tu donnerais ton aigle et ton tonnerre
Pour
 l'entendre pousser, au fort de son tourment,
Un
 seul cri qui t'atteste, une injure, un blasphème,
Il
 restera muet : ce silence suprême
Sera
 ton châtiment.

Tu
 n'auras plus que moi dans ton immense empire
Pour
 croire encore en toi, funeste Déité.
Plutôt
 nier le jour ou l'air que je respire
Que
 ta puissance inique et que ta cruauté.
Perdu
 dans cet azur, sur ces hauteurs sublimes,
Ah !
 j'ai vu de trop près tes fureurs et tes crimes ;
J
'ai sous tes coups déjà trop souffert, trop saigné ;
Le
 doute est impossible à mon cœur indigné.
Oui !
 tandis que du Mal, œuvre de ta colère,
Renonçant
 désormais à sonder le mystère,
L
'esprit humain ailleurs portera son flambeau,
Seul
 je saurai le mot de cette énigme obscure,
Et
 j'aurai reconnu, pour comble de torture,
Un
 Dieu dans mon bourreau.

http://www.dico-poesie.com/poemes.php?mot=Jupiter

Les commentaires sont fermés.