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Catégories : Apollinaire Guillaume

"Les Dessins de Guillaume Apollinaire" : Apollinaire en couleurs

LE MONDE DES LIVRES | 11.12.08 | 12h43  •  Mis à jour le 11.12.08 | 12h43

apollinaire.jpgC'est en août 1914 qu'Apollinaire, influencé par le futurisme et le cubisme, lance une souscription pour faire paraître, à tirage limité, un ensemble d'"idéogrammes lyriques et coloriés" sous le titre Et moi aussi je suis peintre. Cette publication originale aurait dû inaugurer les activités éditoriales des Soirées de Paris, revue dont le poète avait pris la direction quelques mois plus tôt. La guerre empêchera ce projet de se réaliser. Mais, en même temps, elle donnera à celui-ci une autre ampleur et perspective. A l'issue des quatre années terribles, ce sera le fameux recueil des "Poèmes de la paix et de la guerre", Calligrammes, qui paraîtra en avril 1918, quelques mois avant la mort de Guillaume Apollinaire, le 9 novembre.

Claude Debon, l'une des meilleures spécialistes du poète, propose une étude génétique complète de chacun des poèmes de Calligrammes. L'ouvrage, savant et rigoureux, rend notamment justice à l'audacieuse et très moderne démarche poétique d'Apollinaire. Souvent mal compris, il fut soupçonné de complaisance guerrière et d'esthétisme déplacé.

Mais la transposition visuelle de l'inspiration ne se limite pas aux seules pages des Calligrammes. Toute sa vie, Apollinaire a dessiné, colorié... Comme l'écrit la même Claude Debon, dans un très beau cahier spécial de la revue dirigée par Frédéric Pajak, Les Cahiers dessinés, "les dessins d'Apollinaire, à plus d'un titre, servent à mieux pénétrer dans son oeuvre. Plus immédiats que les mots (...), ils expriment autrement, mais plus directement, les affects qui sont en jeu dans l'écriture. Les grimaces des humains, la dislocation et le morcellement de leur corps, la grâce des animaux, la juxtaposition d'objets disparates, les paysages rêvés, sont autant de motifs qui entrent en résonance avec l'univers du mal-aimé..."

"On peut être poète dans tous les domaines : il suffit que l'on soit aventureux et que l'on aille à la découverte", affirmait, en 1917, l'auteur d'Alcools. Plus immédiatement que dans ses écrits, la liberté et l'immense capacité d'être séduit, amusé ou ému, par le spectacle du monde est manifeste dans le moindre dessin d'Apollinaire. Et cela dès ses "Cahiers de jeunesse". D'ailleurs, c'est sur la même page, avec la même plume que l'ami de Picasso écrit, griffonne, dessine... Les marges, les blancs, se couvrent de figures, tandis que les mots et les phrases continuent à se former. Les lettres notamment, celles qu'il adresse à Lou, à Madeleine (avec les très lestes "Poèmes secrets") ou encore à la jeune Mireille Havet, s'enrichissent comme naturellement de représentations, visages, bestiaires ou paysages.

Souvent présente, mais jamais complaisamment méchante, la veine caricaturale n'est pas la seule à s'exprimer. L'autodérision se fait jeu de masques. A propos du "Cahier de Stavelot", datant des années 1899 à l'époque où il séjourne en Belgique et en Allemagne, Peter Read, coauteur de l'ouvrage, souligne que, "sous la plume du poète se multiplient les visages et les expressions, car l'étonnante diversité humaine le fascine autant que la grâce des formes féminines, autre préoccupation pressante".


FORMES EN MAJESTÉ


Blessé à la tête par un éclat d'obus en mars 1916 et hospitalisé à Paris, Apollinaire se met au pastel et à l'aquarelle. Même si l'écriture reste présente, animant les figures conformément à une esthétique moderniste, c'est la couleur ici et les formes en majesté qui donnent aux oeuvres leur élan et leur liberté. "La grande force est le désir", affirmait l'ami de tous les arts : les portraits, ou autoportraits, comme ce Maréchal des Logis au masque d'Espérance ou la masse rouge, liquide et inquiétante du Cavalier masqué et blessé, témoignent admirablement de cette force. De même la belle aquarelle érotique sur un fond de mer bleu, titrée d'une manière cocasse et pertinente : "Ce qu'on peut s'amuser avec les nombres astronomiques !!!"

Homme de désir, de tous les désirs, Guillaume Apollinaire chantait son ignorance dans "Les Fiançailles" : "... Je ne sais plus rien et j'aime uniquement."

Les dessins, qui ne cherchent pas à s'élever au rang d'oeuvres, qui tâtonnent, s'amusent, ironisent à ses marges, vont dans le sens de cette ignorance amoureuse. Comme en regard de celle-ci, sur l'autre plateau de la balance, le poids du savoir douloureux et mortel de la guerre - expérience majeure qui emporte la vie et l'énergie de Guillaume.

Le petit "carnet de tir" manuscrit du canonnier Apollinaire datant de 1915, reproduit en fac-similé dans la collection "L'Originale", associe l'amour et la guerre. Ces minces feuillets, que présente Jean-Jacques Lebel, appartiennent au corpus des Lettres à Madeleine. Du coton dans les oreilles : dérisoire protection contre le bruit de la mitraille et des bombardements. D'ailleurs, à la fin, elle devient inutile : "La balle qui froisse le silence/Les projectiles d'artillerie qui glissent/comme un fleuve aérien/Ne mettez plus de coton dans les oreilles/ça ne vaut plus la peine."


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"CALLIGRAMMES" DANS TOUS SES ÉTATS, édition critique du recueil de Guillaume Apollinaire par Claude Debon. Ed. Calliopées - www.calliopees.fr -, 384 p., 58 €.

LES DESSINS DE GUILLAUME APOLLINAIRE, choix et présentation de Claude Debon et Peter Read. Buchet-Chastel, "Les Cahiers dessinés", 160 p., 39,50 €.

DU COTON DANS LES OREILLES DE GUILLAUME APOLLINAIRE, édition présentée par Jean-Jacques Lebel. Ed. de L'IMEC, "L'Original", 56 p., 12 €.

Patrick Kéchichian

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/12/11/les-dessins-de-guillaume-apollinaire_1129616_3260.html

Autre article sur ce livre lu dans la presse le 11/12/2008:

http://www.lefigaro.fr/livres/2008/12/11/03005-20081211ARTFIG00430-apollinaire-dans-son-ebullition-lyrique-.php

Mes autres notes sur Apollinaire:


http://www.lauravanel-coytte.com/search/apollinaire

Commentaires

  • Une autre facette d'Apollinaire. J'aimerais bien voir ces dessins. J'ai vu que ce livre était sorti en lisant LIRE que mon fils reçoit gratuitement (on ne sait pas pourquoi puisqu'il ne s'est jamais abonné à cette revue)

  • Je l'ai vu dans beaucoup de librairies et le feuilleter...
    C'est sympa LIRE...

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