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Catégories : Le paysage

Venise. Canaletto et ses rivaux

Londres, National Gallery, du 13 octobre 2010 au 16 janvier 2011
Washington, National Gallery of Art, du 20 février au 30 mai 2011

1. Gaspare Vanvitelli (1652/1653-1736)
Le Môle depuis le bassin de Saint-Marc, 1697
Huile sur toile - 98 x 174 cm
Madrid, Museo Nacional del Prado
Photo : Museo Nacional del Prado

Avouons-le, nous nous rendions à la National Gallery en trainant un peu les pieds. Canaletto et plus largement les vedutistes vénitiens ne nous ont jamais franchement passionné, leurs tableaux nous semblant parfois très répétitifs et dans bien des cas médiocres. C’était une erreur, un préjugé absurde et l’exposition remarquable du musée londonien le démontre amplement.

A une simple et peut-être monotone rétrospective Canaletto, les organisateurs ont préféré montrer comment celui-ci fut le pivot essentiel des paysagistes vénitiens au XVIIIe siècle. C’est une véritable leçon d’histoire de l’art que nous administre ainsi le commissaire Charles Beddington qui permettra aux plus béotiens de comprendre comment ce genre se développa à Venise, de la première vedute identifiée, par Gaspar Van Wittel (dit Vanvitelli), qui date de 1697 (ill. 1), aux dernières réalisations de Francesco Guardi qui meurt en 1793, terminant ainsi une tradition qui dura tout juste un siècle (même si des imitateurs médiocres la continuèrent jusqu’au début du XIXe).
Le choix de ne montrer que des tableaux certains de ces artistes, et parmi leurs plus beaux, est particulièrement judicieux, évitant jusqu’au bout ce sentiment d’ennui qui aurait pu facilement surgir. En n’exposant que des chefs-d’œuvre, cette manifestation permet de comprendre que Luca Carlevarijs (ill. 2) ou Michele Marieschi, deux artistes parfois sous-estimés, étaient capables de peindre des toiles de la plus haute qualité. La mort précoce de Marieschi fut, comme le dit le catalogue, sans doute un soulagement pour Canaletto en le débarrassant d’un rival qui aurait pu devenir menaçant pour sa position dominante.



2. Luca Carlevarijs (1663-1730)
La Réception de l’ambassadeur britannique Charles Montagu,
au Palais des Doges

Huile sur toile - 132 x 264 cm
Birmingham, Museums & Art Galleries
Photo : Birmingham Museums & Art Gallery

 


 


Le parcours de l’exposition, très bien accrochée comme c’est la règle à la National Gallery, retrace de manière limpide l’histoire et l’évolution du genre. Canaletto, formé par son père Bernardo Canal, commença sa carrière auprès de celui-ci comme décorateur de théâtre. Rapidement, il prit son indépendance et devint le premier peintre de vedutede la ville, travaillant presque exclusivement pour les étrangers, au premier rang desquels les Anglais qui raffolaient de son art et emportaient ainsi un souvenir de la lagune qu’ils visitaient lors de leur Grand Tour. Carlevarijs se montre dans ses meilleures œuvres un peintre minutieux, très attentif aux scènes représentées et privilégiant les études de personnages, le paysage lui-même apparaissant davantage comme un cadre à la composition. Canaletto change cette orientation en privilégiant Venise elle-même.
Il est passionnant de voir comment tous ces artistes s’influencèrent mutuellement, en reprenant des perspectives traitées par leurs prédécesseurs ou concurrents, le but étant cependant de trouver des points de vue inédits. Carlevarijs joua à ce titre un rôle majeur grâce à sa série de 103 gravures réalisée en 1703 « Le Fabriche, e Vedute di Venetia » qui fixa un certain nombre de prototypes.

Beaucoup d’artistes peignaient plusieurs fois les mêmes points de vue mais Canaletto refusa en général de se répéter. Sa manière de travailler est parfaitement décrite dans le catalogue, notamment comment il s’aidait d’une chambre obscure pour modifier une vue et faire entrer tous les éléments dans le champ du tableau, quitte à truquer une perspective ou à raccourcir un campanile. Marieschi et Bellotto utilisèrent les mêmes artifices. On remarque ainsi les arrangements que tous ces peintres peuvent prendre avec la réalité, dès les débuts du genre, comme lorsque Vanvitelli ajoute, par rapport à son dessin préparatoire, des entrelacs gothiques au Palais des doges et représente les trois coupoles de basilique Saint-Marc alors que le point de vue choisi ne devrait en montrer qu’une.
L’exposition propose de nombreux rapprochements qui éclairent les ressemblances et les différences entre les peintres et constitue une remarquable démonstration par l’image. On ne prendra ici qu’un seul exemple : Canaletto et Bellotto, avec deux œuvres représentant, exactement selon le même point de vue, L’entrée du Grand Canal vers l’est, avec Santa Maria della Salute (ill. 3 et 4), la première datant des environs de 1741, la seconde réalisée autour de 1743. Malgré la différence de style, on est frappé de constater que les bateaux et les personnages sont pratiquement tous dans la même position, à deux ans de distance, ce qui montre clairement que Bellotto ne s’est pas contenté de reprendre la perspective de Canaletto mais s’est directement inspiré de son tableau.


3. Canaletto (1697-1768)
L’Entrée du Grand Canal, vers l’est,
avec Santa Maria della Salute
, vers 1741
Huile sur toile - 54,6 x 101,6 cm
Cambridge, The Fitzwilliam Museum
Photo : Didier Rykner

4. Bernardo Bellotto (1722-1780)
L’Entrée du Grand Canal, vers l’est,
avec Santa Maria della Salute
, vers 1743
Huile sur toile - 72 x 96,5 cm
Collection particulière
Photo : Didier Rykner


5. Pietro Bellotti (1725-vers 1800)
L’Entrée du Grand Canal, vers l’est,
avec Santa Maria della Salute
, vers 1743-1744
Huile sur toile - 56,5 x 84 cm
Canada, collection particulière
Photo : Didier Rykner

En 1747, Bellotto partit pour Dresde où il resta pendant onze ans avant de voyager en Europe et de terminer sa vie à Varsovie. En 1748, son frère, le beaucoup moins connu Pietro Bellotti dont on peut voir un tableau dans l’exposition (ill. 5) représentant encore la même vue de la Salute, s’installa définitivement en France et Canaletto lui-même se rendit à Londres. Entre 1748 et 1755, Venise fut donc privée de tous les membres de la famille Canal alors que plus aucun peintre d’importance n’était capable de les remplacer dans le genre de la vedute. Ce ne fut que quelques années après le retour de Canaletto en 1755 qu’apparut sur la scène vénitienne celui qui allait devenir son dernier grand rival, et sans doute le plus célèbre, Francesco Guardi, qui ne commença que vers 40 ans à peindre des vues de la Cité des Doges.
L’exposition montre l’évolution du style de Canaletto qui, à ses débuts, peignait des compositions plus vaporeuses, moins précises que l’image qu’on a habituellement de son art. Francesco Guardi reprit ainsi la manière des premiers tableaux de Canaletto. Ce que Bellotto doit à son oncle apparaît non moins clairement mais il évolua très vite vers des couleurs plus froides et des architectures plus strictes encore. Si l’on peut préférer les œuvres du neveu, on notera cependant la faiblesse de ses figures (ses chiens, par exemple, ressemblent à des singes). Marieschi quant à lui faisait souvent réaliser ses personnages par un autre artiste.

L’excellent catalogue est publié également en français. Exceptionnellement, l’absence de notice ne nuit pas au propos, les explications les concernant étant données dans les biographies des peintres1. Cette exposition n’apportera sans doute pas grand-chose de nouveau pour les spécialistes mais elle constitue une synthèse remarquable et exemplaire de ce sujet, ce qui la justifie pleinement.

Charles Beddington, avec une contribution d’Amanda Bradley, Venise. Canaletto et ses rivaux, 2010, Edition Fonds Mercator, 192 p., 35 €. ISBN : 9789061539674.


Informations pratiques : The National Gallery, Trafalgar Square London WC2N 5DN. Tél : + 44 (0)20 7747 2885. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, le vendredi de 10 h à 21 h. Tarifs : 12 £ (tarif réduit : 6 £).

English version

 

 

Didier Rykner, mercredi 20 octobre 2010

 


Notes

1. On regrettera cependant que les éléments techniques soient reportés à la fin de l’ouvrage, ce qui oblige le lecteur à des allers-retours inutiles.


http://www.latribunedelart.com/venise-canaletto-et-ses-rivaux-article002823.html

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