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Qu’il était vert, mon poireau !

 

23 avril 2014 à 18:26

   (Photo Nicozz. Flickr)

Jacky DURANDJacky DURAND

Méfiez-vous des fossés, car il s’en passe souvent de bonnes au bord des chemins vicinaux. Tiens, l’autre jour qu’on va par monts et par vaux entre la pâture et la futaie, faisant rugir notre tombereau qui n’aime pas la quiétude du bocage, on est en train de farfouiller dans notre autoradio quand on croit apercevoir un ovni de couleur bleu entre l’accotement et le taillis. Quelques centaines de mètres plus loin, le temps d’exfiltrer Jimmy Page de notre mange-disque, on est pris d’une curiosité rétroactive qui nous pousse à rebrousser chemin dans un déchirant craquement de boîte à vitesses. Et nous voilà scrutant le susdit bas-côté entre les prunelliers en fleurs et le muguet qui devance l’appel avec ses grelots blancs.

Pandores. C’est pas tous les jours que l’on fait ainsi les fonds de fossé comme un chasseur de grenouilles, mais on s’attend pas tout de même à pêcher un tel crapaud quand on découvre un petit vieux tombé cul par-dessus tête, dardant son postérieur vers le ciel. Il patauge dans les feuilles mortes, sa casquette de traviole lui bouffant les trois quarts du museau : «Eh, toi qui passes, faudrait t’y me sortir de là», bafouille le malheureux en brandissant une poignée de muguet dans sa main droite. Imaginez-vous en train de retourner un scarabée géant qui aurait muté à Fukushima et vous aurez une idée du quintal que l’on tente de soulever au ras des pâquerettes. On ahane, on peste, on jure alors que lui, mi-inquiet, mi-rigolard, nous serine : «Va-y gars, te tins l’bon bout !» (1) Le bousier finit enfin par retomber sur ses pattes antérieures, ajustant les bretelles de sa salopette de bleu de chauffe : «Fait pas bon devenir vieux, hein ! qu’il piaune. J’ai chu dans la gouille.» Il contemple son muguet qui s’est fait méchamment sonner les clochettes dans sa chute. «Tout ça, c’est la faute de la Germaine, qu’il grogne. M’avait fait promettre sur son lit de mort que je lui porterais tous les mois de mai quelques brins au cimetière. T’as vu où j’en suis, gaugé comme une soupe.»

 

Tandis qu’on lui propose de le ramener à ses pénates, le vieux jauge, méfiant, notre dragster. «Ça roule, un tarare pareil, on va pas se casser la margoulette hein ?» Il s’installe précautionneusement sur le siège passager, bataille avec la ceinture de sécurité et, vexé, refuse qu’on lui attache. «Pas besoin de ta ficelle, j’ai été ondoyé par saint-Christophe [patron des automobilistes, ndlr]». On roule en silence jusqu’à un village où il désigne la rue principale. «Tu vas tout droit, comme les corbeaux. J’habite tout au bout, tu verras les litrons, tu peux pas te tromper», qu’il promet, énigmatique. A peine dépassé le panneau de sortie du patelin, on découvre une ancienne ferme basse envahie par une invraisemblable collection de bouteilles juchées sur le mur de clôture ou posées sur des étagères fixées sous l’avant-toit. Nous voilà chez un Facteur Cheval accro aux goulots. «Vous avez bu tout ça ?» qu’on risque. «Et même plus !» se marre l’ancien qui nous laisse mariner, le temps de trouver ses clés sous une dame-jeanne. «Mais non, j’ai pas bu tout ça même si comme on dit ici "Ne craichot pas chu l’canon". C’est les gens qui m’apportent leurs plus jolis restes de cuite quand ils vont au container à verre. Chez moi, c’est comme ça, je préfère les bouteilles aux nains de jardin pour décorer. Tiens donc, tu prendras bien une mousse ?» On dit «non» poliment ; la faute aux pandores qu’on se justifie. Le vieux rigole : «T’as qu’à aller à pied. Tant pis, j’en boirai deux.» Alors qu’on va pour lui serrer la louche, il décrète «Attends un peu, je vais te donner quelque chose pour la peine.» On le suit jusqu’à l’orée de son potager où, muni d’une fourche bêche, il nous arrache une généreuse botte de poireaux. «C’est pas mieux que le muguet, hein ? T’as vu comment ils sont beaux mes poireaux, j’ai un secret. Lequel à ton avis ?» Ignare en horticulture, on hausse les épaules. «Un petit pipi tous les matins, c’est le meilleur des engrais, chuchote le patriarche poireauphile. Tu me crois pas ? Crouaix d’bouais, Crouaix d’far ! Ch’y y ment, y vai en enfâr.»

Rouleaux. Vous n’êtes pas obligé d’amender ainsi votre jardin, mais vous pouvez tenter sans hésitation cette tourte aux poireaux, il vous faut deux rouleaux de pâte feuilletée ou brisée, selon vos goûts ; un bon kilo de poireaux ; 4 œufs entiers plus un jaune d’œuf ; 30 cl de crème fraîche entière épaisse ; 5 cl de lait ; beurre ou huile d’olive selon vous goûts ; sel, poivre.

Coupez la moitié de la partie supérieure verte des poireaux (vous pourrez la recycler dans une soupe) et le pied. Fendez ensuite les poireaux en croix sur toute la longueur et lavez-les soigneusement (le sable sous la dent, ça craint…). Séchez-les et émincez-les grossièrement. Faites fondre un peu de beurre ou chauffez un peu d’huile d’olive dans une sauteuse. Ajoutez les poireaux et faites-les revenir quelques instants, salez modérément puis couvrez-les et faites-les étuver entre un quart d’heure et vingt minutes jusqu’à ce qu’ils soient fondants. Ajoutez deux cuillères à soupe de crème fraîche, mélangez et laissez refroidir un peu. Pendant ce temps, battez les quatre œufs entiers en omelette, ajoutez la crème et le lait, salez et poivrez. Dans un moule à tarte à bords hauts ou dans une tourtière, étalez un disque de pâte et piquez-la à la fourchette. Répartissez sur la surface la fondue de poireaux, versez le mélange œufs battus-crème. Vous pouvez ajouter, selon votre humeur, des dés de jambon blanc, des lardons blanchis, un pavé de saumon cuit et émietté. Recouvrez avec l’autre disque de pâte, soudez les bords, pratiquez une cheminée au centre de la tourte avec un petit morceau de carton roulé en cylindre. Dorez la surface avec le jaune d’œuf. Enfournez dans votre four préchauffé à 180°C et laissez cuire une quarantaine de minutes.

(1) Patois morvandiau emprunté aux sets de table de La petite auberge, 58370 Glux-en-Glenne 03 86 78 65 79.

 

Jacky DURAND

 

http://next.liberation.fr/food/2014/04/23/qu-il-etait-vert-mon-poireau_1003068

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