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Nous avons vu il y a 15 jours au Jeu de Paume:Mathieu Pernot, photographe historiographe

 

Cet artiste talentueux expose ses séries photographiques cohérentes et convaincantes dans deux expositions remarquables, au Jeu de paume et à La Maison rouge.

 

 

6/3/14 - 11 H 21 « Caravane » (2013), de Mathieu Pernot. Extrait de la série « Feu ». 

« Caravane » (2013), de Mathieu Pernot. Extrait de la série « Feu ». 

Mathieu Pernot

« Caravane » (2013), de Mathieu Pernot. Extrait de la série « Feu ». 

 

Mathieu Pernot

« Caravane » (2013), de Mathieu Pernot. Extrait de la série « Feu ». 

Avec cet article

 

La passionnante « Traversée » à laquelle invite Mathieu Pernot au Jeu de paume, à Paris, dessine le portrait de ce photographe talentueux, creusant depuis vingt ans avec sensibilité et rigueur la question du regard porté sur l’autre. S’intéressant aux questions de la marginalité et des communautés invisibles, de l’urbanisme et de l’enfermement, ce quadragénaire aime confronter différentes représentations d’une même histoire.

 

 

Cette « Traversée » peut aussi se lire comme un voyage dans l’histoire d’une famille rom, les Gorgan, notamment la figure de Giovanni que le photographe rencontre une première fois enfant en 1995 et qu’il retrouve par hasard adolescent en 2001. Il lui consacre aujourd’hui un mur dans l’exposition.

Celle-ci s’ouvre sur une vingtaine de minuscules portraits d’enfants tsiganes pris dans la cabine automatique de la gare d’Arles (« Photomaton », 1995-1997). « Il me semblait intéressant d’utiliser ce dispositif normatif servant à faire des portraits d’identité pour photographier ces enfants qui sont considérés hors cadre social. » L’idée s’est imposée quand le patriarche de la famille Gorgan lui a montré son portrait face/profil pris au camp de Saliers (Bouches-du-Rhône) où furent internés les Roms durant l’Occupation.

« Un camp pour les bohémiens »

À partir des carnets de circulation imposés aux nomades et retrouvés dans les archives départementales, Mathieu Pernot recherche les survivants et confronte les archives administratives écrites à leurs témoignages sonores, leurs portraits anthropométriques à ceux – consentis – qu’il réalise cinquante-cinq ans après (« Un camp pour les bohémiens », 1998-1999). « Rapprocher la mémoire vivante et les archives écrites permet d’interroger l’acte de restitution de l’histoire face à des personnes qui précisément ne gardent pas de mémoire écrite. » 

Cette enquête historique le conduit ensuite à s’intéresser aux prisons dont il saisit la froideur, des cours vides à la chambre grand format (« Panoptiques », 2001). « La prison est aussi un lieu de dépossession de sa propre image, puisqu’on n’a pas le droit de photographier un détenu même s’il est d’accord. » Au silence de ces espaces grillagés répondent en contrechamp les portraits théâtraux et énigmatiques des « Hurleurs » (2001-2004) tentant de communiquer avec les détenus autour des prisons. 

Exposés entre les « Panoptiques » et les « Implosions » (2000-2008), ces crieurs semblent aussi hurler contre la violence carcérale et contre la brutalité des destructions de logements sociaux parfois anéantis par décision politique. « L’implosion, moment où l’histoire bascule, est un événement éminemment photographique, une image violente, une image de guerre, mais aussi une image plastiquement belle comme une sculpture en mouvement. » 

« Témoins », « Fenêtres » et « Migrants »

Dans un nouveau contre-champ historiographique, Mathieu Pernot agrandit ensuite d’anciennes cartes postales éditées pour encenser ces grands ensembles durant les Trente Glorieuses (« Le meilleur des mondes », 2006), et dans la trame desquelles il est allé débusquer des humains tellement accessoires qu’ils étaient invisibles à l’œil nu (« Témoins », 2006). Qu’il s’agisse ensuite des « Fenêtres » (2007) picturales comme des trompe-l’œil, prises dans les différents étages d’une tour désaffectée, ou des « Migrants » (2009) afghans drapés comme des gisants dans leurs sacs de couchage, toutes les images se répondent et vibrent autant par la poésie qui les habite que par les tensions politiques qui les traversent.

Cette « Traversée » représente un travail documentaire remarquable qui n’empêche pas, parfois, une part de mise en scène, notamment pour la dernière image dans laquelle brûle une caravane (« Le Feu », 2013). « J’avais vu les familles incendiant les caravanes des défunts sans pouvoir photographier ces moments douloureux, confie Mathieu Pernot. Reconstituer cette scène avec la famille Gorgan permet de restituer cette idée qu’après la grande traversée de la vie, les gitans donnent une fin digne au vaisseau qui a permis de faire le voyage. Dans le contexte actuel, c’est aussi une image violente à rapprocher du discours sur les Roms. » 

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 Faire dialoguer les images 

L’exposition et le livre L’Asile des photographies (prix Nadar 2013) de Mathieu Pernot relatent son expérience avec les images de l’hôpital psychiatrique de Picauville dans la Manche. De sa plongée dans les archives écrites et visuelles de l’hôpital avec l’historien Philippe Artières, il rapporte un montage de documents divers – lettres, plans, clichés et films d’amateurs… – donnant une image différente et plurielle de la psychiatrie et des patients. « Il n’y a pas une seule façon de raconter une histoire, pas un seul point de vue pour représenter une personne. J’aime que le sujet résiste, explique-t-il. Ce qui m’intéresse c’est de faire dialoguer ces discours, de rendre les images dialectiques. » 

« L’Asile des photographies », La Maison rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012, Paris, jusqu’au 11 mai 2014. Rens. : 01.40.01.08.81. Catalogue, Philippe Artières et Mathieu Pernot, Le Point du jour, 278 p., 38 €.

Armelle Canitrot

« La Traversée », au Jeu de paume jusqu’au 18 mai 2014 (1 place de la Concorde, 75008 Paris). Rens. : 01.47.03.12.50.

Rencontre avec Mathieu Pernot le 14 mars 2014 à 18 h 30, Studio GwinZegal à Guingamp (Côtes-d’Armor), rens. et réservations : 02.96.44.27.78.

 
 

6/3/14 - 11 H 21

http://www.la-croix.com/Culture/Expositions/Mathieu-Pernot-photographe-historiographe-2014-03-06-1116332

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