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Mon texte inédit sur ce blog:La chute des jouets

Semaine du 5 octobre au 11 octobre 2015 - Les premiers mots d'un livre

 


Photo sous licence Creative Commons, d'après FlickR - 
Montage aléatoire généré par le site "untitre" d'Omer Pesquer

 
Toute cette galerie de salopards, vous aura peut-être donné envie d'évasion...
C'est pourquoi nous vous invitons cette semaine à écrire les premiers mots d'un livre. Nous vous proposons pour cela 4 titres dans la "nouvelle collection" des Impromptus Littéraires.
A vous d'en choisir un, afin d'écrire en prose ou en vers, le tout début de l'ouvrage.

De quelques lignes à maximum deux pages, votre texte, pour lequel vous devez nous préciserobligatoirement le titre du livre choisi, devra parvenir aux éditions impromptues à l’adresse mail habituelle : impromptuslitteraires[at]gmail.com avant dimanche 11 octobre.
 
http://impromptuslitteraires.blogspot.fr/

Je ne peux plus, je n’y arrive plus, c’est au-dessus de mes forces physiques et mentales ; même leur parler est difficile : ça me semble si peu naturel, voire carrément artificiel. Chacun fait son devoir et ça se sent.

Pourtant, je les ai tant aimés et j’ai si longtemps, ardemment souhaité leur amour, leur intérêt. Ils m’aiment oui, sûrement, comme on aime son enfant mais cet amour n’a jamais été suffisant pour m’aider à vivre, à avoir confiance en moi-même. On m’a souvent dit que cela venait de moi, que j’étais trop sensible. Il est vrai que j’ai toujours été trop : trop sage –jusqu’à désirer être une sainte-  trop préoccupée surtout du regard des autres, trop solitaire, trop tout… que les autres ne peuvent être finalement que pas assez par rapport à l’attention démesurée que je manifestais par rapport à leurs désirs, les anticipant jusqu’à nier les miens.

J’aimais trop mon circuit de train et je n’aimais pas trop les poupées. J’aimais trop lire des livres dans ma chambre et je n’aimais pas trop sortir de chez moi. Sauf pour aller à l’école que j’aimais trop et ça se voyait dans mes excellents résultats. Mon univers se limitait aux murs de ma chambre, à l’école, aux livres et à la télévision que je regardais en faisant mes devoirs. Je passais beaucoup de temps avec une de mes grand-mères (car elle vivait dans la même maison que nous) mais je connaissais l’histoire familiale des deux côtés par cœur : ses joies peut-être mais surtout ses drames. Les rares amitiés que j’arrivais à nouer étaient tuées dans l’œuf ; ça  n’était sans doute pas volontaire-tout au moins consciemment mais le résultat d’un de ces homicides involontaires fut une honte  publique dans le bureau du directeur d’école : le sacrilège ultime pour une excellente élève.

Je tombais souvent dans l’escalier qui était bien raide ; dans la rue, je me prenais les pieds dans moi-même : préoccupée que j’étais de bien faire, je faisais mal et mes genoux et coudes étaient couverts de croûte… pour la petite souris. On me découvrit une scoliose, j’allais un moment chez un kiné. Je crois que mon corps était tordu, déséquilibré, avec un risque de chute permanent ; c’est cette tension vers eux qui m’entraînait vers la faute que j’avais pourtant en horreur.

Mon enfance parfaite et comblée (de cadeaux, de jouets, de livres : je ne manquais de rien) prit fin, il me semble à la rentrée de seconde par un événement que je n’évoquerais pas ici  car ses répercussions  importent plus que de le détailler.

Ce tsunami familial m’éloigna de la voie des ordres auxquels j’avais pensé, rayant la sainteté de mes priorités obsessionnelles quotidiennes. Lassée d’être gentille avec ma famille, je m’expulsais de ma maison et personne, trop occupée qu’il était avec leurs problèmes, ne sembla trop s’en offusquer.

Fini le circuit de petit train, la marelle et le saut à l’élastique. Je lisais toujours mais je délaissais les jouets de l’enfance  pour jouer avec les garçons et très vite, je préférais les hommes qui lassés d’être mes jouets, se mirent à me faire souffrir alors que la douleur me venait au départ de mon exil du paradis originel. Ce paradis, telle une Eve déchue, je le fuyais désormais  comme la peste multipliant les sorties et limitant les retours.

Le circuit (que mon mari pourrait ajouter à sa collection) fut rangé au grenier où il a rejoint les cannes à pêches invendues, les chaises dépareillées, les étagères sans vis, les disques des années 60 (que j’aimerais réécouter) etc.

Un jour, quelqu’un a évoqué le risque d’incendie ou d’écroulement de tous ses jouets et  autres objets du passé sans avenir. La chute des jouets a été un drame pour moi, elle est aujourd’hui une menace qui plane comme le ressassement permanent  des antiques souffrances (sans remise en cause, questionnement ou guérison possible), loin de la jouissance du présent qui éclairerait l’avenir d’une lumière inédite.

 

Cannelle

 

Pour lire d'autres textes de moi, cf. mes 14 livres en passant par les bannières sur ce blog

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