Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La littérature - Page 15

  • Catégories : La littérature

    Dans ma lecture du "Journal d'Hélène Berr"

    journal.jpgpage 64:"J'ai acheté un Mallarmé rue Gay-Lussac[...]"

    Ce qui est formidable aussi dans ce livre c'est la description de Paris et des paysages en général à laquelle je suis très sensible évidemment...

    Toujours donc la passion de la littérature, de la musique et l'amour de la vie malgré le pressentiment de la tragédie.

    p.66: "Ala bibliothèque,jusqu'à trois heures j'ai lu "Crime et châtiment", qui maintenant m'empoigne."

    L'attention aux autres aussi:

    p.68:

    "Il n'est revenu que pendant ma promenade au Quartier latin, à la recherche de Thucyclide pour Jacques."

    p.164: une librairie que je connais bien:Gagliani

  • Catégories : La littérature

    Dans ma lecture du "Journal d'Hélène Berr"

    journal.jpgp.212:"Car ce matin j'ai étudié Keats et je me suis laissé enthousiasmer comme autrefois."

    p.213: "Donc, ce matin, j'ai travaillé dans mon ancienne chambre. Pris des notes sur les "Odes" de Keats. Après deux heures, je me suis ape de la vérité de aperçue de la vérité de cette phrase de Wolff: l'essence suprême de l'art de Keats, c'est sa puissance de suggestion. L'"Ode à l'automne", par exemple, s'est prolongée en moi, "lingered deliciously[a persisté délicieusement] en moi bien après que je l'aie relue."

    p.214:"Je veux que l'on donne aussi à Jean mon cahier de notes, surtout le grand cartonné marron, car il contient autant de moi que ces pages. Je n'ai pas encore eu le temps d'écrire ce que je pensais de Keats, mais le choix même des critiques représente exactement ce que j'aime ou n'aime pas dans son oeuvre.[...]

    Pour le moment, je passe par dessus les obstacles. J'ai pris un exposé pour le troisième semestre sur Shelley."

    p.233:"Ce matin, je lisais Shelley, et sa "Défense de la poésie"; hier soir un dialogue de Platon, traduit par lui. Quel désespoir de penser que tout cela, tous ces magnifiques résultats de polissure,d'humanisation, toute cette intelligence et cette largeur de vues sont morts aujourd'hui. Vivre une époque pareille, et être attiré vers toutes ces oeuvres, quelle dérision, c'est presque incompatible. Que dirait Platon?Que dirait Shelley?On me traiterait de rêveuse et d'inutile. Mais n'est-ce pas les autres, n'est-ce pas la rage de mal qui sévit actuellement qui est la chose fausse et inutile? Si j'étais née à une autre époque, tout cela aurait pu s'épanouir."

  • Catégories : La littérature

    Dans ma lecture du "Journal d'Hélène Berr"

    journal.jpgPage 278, à lire:

    Résurrection
    (Gallimard/Folio, 1994, 643 pages)

    résurection.jpg

    Un autre très bon livre de Tolstoï, mais il ne faut pas avoir peur de visiter les prisons et le système carcéral russe au tournant du XXe siècle.

    Ce livre est le dernier roman de Tolstoï. Il n'était pas tout à fait satisfait de la qualité littéraire du produit fini, mais il l'a publié pour aider un groupe religieux ukrainien persécuté à immigrer au Canada, par les droits d'auteur récoltés. Parce qu'il traitait du système de justice, de politique ainsi que du tsar, le livre a été fortement censuré à sa publication. Comme Tolstoï avait d'autres préoccupations que cette oeuvre, il semblerait qu'il n'ait pas remarqué tous les effacements. Il faut absolument lire l'oeuvre intégrale, sinon la majorité des commentaires critiques disparaissent.

    Le roman raconte le tourment morale d'un jeune noble. Alors qu'il est juré à un procès, il reconnaît dans une femme qui se fait injustement condamner au bagne, la jeune servante qu'il avait "perdue" jeune : il lui avait fait un enfant puis l'avait abandonnée à son sort. Elle a été chassée de la maison, a ensuite déboulée les diverses marches de la débauche pour se retrouver dans une maison de tolérance, et elle est maintenant accusée de meurtre et de vol. Nekhlioudov se sent responsable de cette déchéance, et mettra toutes ses énergies à renverser la décision judiciaire. Il visite aussi la détenue, l'accompagne en Sibérie et offre de la marier. En même temps, il découvrira toute l'horreur du système carcéral et l'inéquité du système judiciaire. Il usera de son influence pour servir d'autres prisonniers qui n'ont pas de recours ou d'appui (au désespoir de la société bien-pensante), mais il y a tellement de malheureux.

    On retrouve dans ce livre les préoccupations de Tolstoï, qu'on retrouve aussi dans d'autres livres: comment faire le bien, quel est le sens de la vie, quelle solution pour les paysans russes, comment faire rayonner la justice. Il y a aussi la figure, comme dans "Les cosaques", de l'être simple qui est plus près du bien que l'être sophistiqué moderne et urbain. Le sophistiqué peut corrompre l'être simple, mais ce dernier peut toutefois permettre à l'être superficiel de retrouver la lumière divine.

    Cette oeuvre a quelque chose de zolaesque : la réalité est crue et détaillée. L'histoire romanesque apparaît presque un prétexte à dépeindre et critiquer les systèmes judiciaire et carcéral.

    Très bon livre, mais pour amateurs.

    Note : 4.5/5
    (le réaliste-romantique)

    Ajoutez votre critique

    Pour avoir plus d'infos:

    Europe: Amazon.fr
    Québec/Canada/USA : Amazon.ca
  • Catégories : La littérature

    Mort de Max Milner

  • Catégories : La littérature

    Dernier Figaro Littéraire avant les vacances

    Alors, je l'ai savouré encore plus que d'habitude...

    L'île du bout du monde

    Jean Raspail
    26/06/2008 | Mise à jour : 11:57 |
    .

    Géorgie du Sud : 36° ouest 54° sud, en pleins cinquantièmes rugissants, à 3 000 km à l'est du cap Horn et à peu près autant de l'Antarctique qui déjà y propulse ses growlers et ses bergy-bits (petits icebergs meurtriers). À l'exception de l'île Bouvet, de l'île Heard, de l'île Macquarie et de l'archipel du Horn, il n'existe nulle part aux extrêmes du globe une terre isolée plus méridionale. En 1765, le capitaine Duclos-Guyot lui trouvait « un aspect effroyable », bientôt relayé par le célèbre Cook qui la jugeait « sauvage et horrible, sans même un arbuste assez gros pour en faire un cure-dent ». Rien de changé aujourd'hui : Isa (Isabelle Autissier, notre navigatrice nationale) en décrit la côte comme « de grandes faces noires illuminées par les glaciers et battues par la mer sombre, au climat tout simplement excécrable et incroyablement versatile… ».

    Effrayée, Isa ? Aucunement. Émerveillée. Dans les rares créneaux de beau temps, le miracle se dévoile, somptueux, quasi lyrique. Elle note laconiquement : « Il n'y a qu'à regarder, médusé… » C'est ainsi qu'il faut aborder ce livre qu'elle a écrit en alternance avec Dod, l'alpiniste-chevalier Lionel ­Daudet : commencer par regarder, observer, examiner, les indispensables cartes des pages 22-23 et 86, puis, une à une, en s'en imprégnant, les 200 photos qui subliment le texte, accompagnées de légendes claires, dont un grand nombre de doubles pages qui vous plongent au cœur même du rêve et de la réalité de cette exaltante aventure humaine  je n'emploierai pas le mot exploit, Isa et Dod n'apprécieraient pas… Cette fois, vous y êtes, ailleurs, si loin, en Géorgie du Sud. Vous avez changé d'univers, prêt à reprendre le livre à son début et à le lire comme on lit un vrai beau récit : chaque mot compte. Passager virtuel et surnuméraire, vous venez d'embarquer à bord de Ada, le bateau ­­d'Isabelle Autissier.

    A h, ce n'est pas un yacht de marina, Ada ! Isa l'appelle « son VTT des mers », mais il ne faut pas s'y tromper : Ada a une âme. C'est une personne vivante qu'Isa devine et connaît mieux qu'elle-même. En aluminium brut et un peu cabossé par la fréquentation des growlers, bourré de vivres et de matériel, il ressemble plus, selon sa propriétaire, à un transport de troupes qu'à un courrier des mers. Isabelle Autissier précise : « un petit voilier à budget restreint ». Coque et voiles vierges de toute inscription. Sponsors abusifs, passez votre chemin !

    Ils sont six à bord, dont deux femmes, Agnès et Isa. Trois marins et trois montagnards. Un équipage auquel rien ne résistera, ni les cordillères hostiles de Géorgie, ni les dangers d'un périple maritime côtier. Car tel est leur projet, leur défi : pour les montagnards, la traversée longitudinale de l'île, environ 200 km, neige et glace, pas un être humain, avec huit sommets inviolés à la clef, et pour les marins, à bord du Ada, par vents furieux, une navigation d'assistance, avec rendez-vous fixés pour ravitailler la cordée. ­Cinquante jours… Le récit s'articule en petits chapitres alphabétiques, de A comme Ada à Z comme Zodiac, en passant par Élégance, Intempéries, Quart. Je vous recommande ­Longanimité, la patience de l'âme, précisément celle qui unit montagnards et marins, ou encore Shackelton, car il est enterré là-bas, l'immortel héros de l'Antarctique, sa tombe solitaire dominant les flots comme celle de Chateaubriand au Grand Bé. Enfin, il convient de revenir à la saisissante photo de la page 283 pour saluer Isabelle Autissier.

    Versant océan, l'Île du bout du monde Par Isabelle Autissier et Lionel Daudet Grasset, 300 p., 22,80 €.

    http://www.lefigaro.fr/livres/2008/06/26/03005-20080626ARTFIG00461-l-ile-du-bout-du-monde.php

  • Catégories : La littérature

    Lu sur le web(la source est en bas de l'article)

    L'amour et les femmes, à la française[11/06/08]
    Littérature
    Couverture ouvrage
    La France galante
    Alain Viala
    Éditeur : PUF
    540 pages / 27 € sur
    Résumé :Agréable, érudit, drôle, ambitieux et précis, un ouvrage qui fera date dans la compréhension de l'histoire de la littérature et des arts.
    Anne COUDREUSE
    L’histoire littéraire au mieux de sa forme

    On se souvient que dans son Art poétique, Boileau écrit :

    "Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie,
    L’air ni l’esprit français à l’antique Italie,
    Et sous des noms romains faisant votre portrait,
    Peindre Caton galant et Brutus dameret."

    On se souvient moins peut-être de la chanson d’Edith Piaf :

    "Mais, Johnny, Johnny,
    Si tu étais plus galant,
    Oh, Johnny, Johnny,
    Je t’aimerais tout autant !"

    C’est pourtant par cette citation que commence Alain Viala dans cette somme d’histoire littéraire et d’histoire culturelle qui inaugure une nouvelle collection des PUF, "Les Littéraires", selon laquelle la culture doit rester un plaisir, celui de comprendre et de réfléchir dans des cadres à la fois ambitieux et précis, sans exclure l’humour, le suspens, l’art d’entraîner le lecteur dans une démonstration qui ne soit pas accompagnée par d'inévitables notes de bas de page, mais écrite de façon vivante, en s’alimentant à la source vive de l’érudition et de la mise en perspective. Résultat d’un travail mené pendant vingt ans, le livre est un modèle de ce que peut l’histoire littéraire quand elle procède de l’intelligence et du goût du partage des idées et des savoirs. Parler de la "France galante", c’est éviter les gros sabots des classifications contestables : "Nos habitudes d’histoire littéraire jonglent avec des notions telles que le baroque et le classicisme aussi bien que le romantisme et le naturalisme, etc. Mais le romantisme ou le naturalisme sont des termes employés en leur temps, des réalités endogènes qu’on peut bien prendre en compte comme objets, tandis que le baroque ou le classicisme sont des notions inventées longtemps après, exogènes. Du coup, sitôt que l’on s’en sert, le risque est grand d’entrer dans des arguties sans fin pour les définir et savoir à quoi elles s’appliquent au juste. […] L’appellation de "galant" constitue un fait endogène, une donnée historique, un substrat empirique, et le premier travail consiste à observer quelles œuvres et quelles pratiques ont été qualifiées ainsi, ce qu’elles signifient et, par là, ce que signifie cette qualification".

    Adoptant un ordre chronologique qui n’est pas un carcan et se montre sensible aux effets de "tuilages", Alain Viala reprend le mot à ses origines et le suit, de Villon à Rabelais, en passant par Henri IV, le "Vert galant", et par les cousins lexicaux "galerie, régal, galapiat et galéjade", pour en arriver à la "belle galanterie" du XVIIe siècle, qui est le grand siècle galant, et suivre les transformations du modèle en libertinage au XVIIIe siècle. "Tels sont les deux traits fondamentaux qu’il faut, je crois, retenir : un idéal et une matière à débat. Un idéal à la mode, dont l’accomplissement appelle "l’air de la Cour" et qui, comme il se doit, reste en partie indéfinissable, quoique dicible : il participe d’un "je-ne-sais-quoi", d’une certaine grâce, il est affaire de "charme". Un débat entre la galanterie distinguée et la galanterie débauchée".

    Les analyses sont riches, nombreuses, stimulantes et donnent envie de relire Molière, Racine, Mme de La Fayette à leur lumière. Les passages sur Watteau, Marivaux, Rousseau sont tout aussi passionnants. Alain Viala commente brillamment la "mouche galante" que Flaminia reproche à Lisette de porter sur le visage dans La Double inconstance. On n’en finirait pas de citer tous les moments où l’intelligence et l’érudition se mettent au service de l’explication et de la démonstration, dans une pensée où la sociologie de la création littéraire et de ses implications politiques permettent de réfléchir à des enjeux de pouvoir qui ne concernent pas que les ruelles et les doctes. L’histoire littéraire, c’est aussi l’Histoire. Ce n’est pas seulement une réflexion littéraire, comme l’annonce Alain Viala : "C’est d’abord l’histoire d’un vaste pan de la littérature et des arts, d’une esthétique. En même temps, un vaste pan d’histoire des mœurs, d’une éthique."


    Une spécificité française ?

    L’auteur rappelle les étymologies de fantaisie qui faisaient de la galanterie une qualité naturelle des Gaulois… "L’origine du nom de Galant vient de Gallus et de Gallia, pour ce que la Galanterie est propre principalement aux Français et à la France". C’est ce que dit Hermogène dans Le Jeu du Galand de Charles Sorel qui utilise ici l’humour et le burlesque de la philologie macaronique. Dans ses Loix de la galanterie, il écrit : "Avons arrêté qu’aucune nation que la Française ne se doit attribuer l’honneur d’en observer excellemment les préceptes, et que c’est dans Paris, ville capitale en toutes façons qu’il faut en chercher la source." Un personnage du Sicilien de Molière affirme : "Et toujours MM. Les Français ont un fond de galanterie qui se répand partout." Alain Viala commente ainsi : "Il existe en France à cette époque un lieu commun qui affirme un patriotisme, voire un nationalisme de la galanterie et impose l’expression "galanterie française" comme une locution sédimentée". C’est oublier le Libro del Cortegiano de Baldasare Castiglione paru en 1528, et les essais de Baltazar Gracian, publiés en Espagne entre 1637 et 1647 et traduits en français par L’Homme de Cour... À tel point qu’on peut parler d’ "hégémonie" française : "La revendication de la galanterie comme spécialité française exclusive s’inscrit donc dans une démarche d’ensemble de, comment dire ? Prudemment, disons de diffusion de l’influence française ; carrément, ce serait d’impérialisme. […] Reste que, galanterie française rayonnant sur une Europe galante, ce vecteur culturel a diffusé un art de vivre sociable, un respect des femmes, une esthétique de la douceur et l’idée d’une suprématie française. Pour ce faire, le modèle a confiné au mythe".

    Ce livre fera date dans la compréhension de l’histoire de la littérature et des arts de l’Ancien Régime, aussi bien la musique que la peinture. Son index et son "inventaire galant" le rendent aussi pratique qu’un manuel, dont il n’a par ailleurs ni la lourdeur, ni l’aspect, ni la rhétorique scolaire. Alain Viala annonce une suite, que l’on espère lire sans avoir à attendre vingt ans : "Ce qui appellera une continuation de l’histoire des galants, et je dis tout de suite que l’une de mes surprises, au cours de cette enquête, est venue de la masse des œuvres et documents galants —je veux dire, toujours selon la même méthode : qualifiés comme tels— aux XIXe, XXe et XXIe siècles." À suivre donc, comme un suivez-moi-jeune-homme…

  • Catégories : La littérature

    J'ai lu:Rilke et Balthus, "Lettres à un jeune peintre"

    1323278009.jpg

    Ne trouvant pas le sommeil, je cherche un livre assez mince pour ne pas m’emmener jusqu’au matin, et assez beau pour m’éblouir et déchirer d’un coup la maigre blancheur de cette nuit.

    Le regard trouve ces quelques lettres de Rilke au jeune Balthus, coincées entre une biographie illustrée de Frida Kahlo et le Zibaldone. Je me dis désormais, après les avoir relues, qu’il serait dommage d’en rester là, d’éteindre simplement la lumière, au lieu de la tendre plus loin.

    La tendresse est le seul bien qui nous accompagne, tendresse reçue et partagée, qui n’affirme rien, et nous survit.

    Rodin me racontait un jour qu’en lisant l’Imitation de Jésus-Christ, il remplaçait partout le nom de Dieu par le mot « Sculpture » ; c’est ainsi que vous devez, en parcourant ce digne document, remplacer mon nom qui y figure, par le vôtre ; car ma contribution à votre ouvrage sera trop petite pour que je m’arroge ce rôle prépondérant que je n’ai dû assumer que par la convention du traité. Votre part à cette œuvre était toute travail et douleur ; la mienne sera mince et elle ne sera que plaisir. RILKE

    Rilke écrivit cette lettre en 1920, six ans avant sa mort. Balthus en avait alors douze. L’enfant venait de publier Mitsou (nom de son chat perdu), son premier recueil de quarante dessins, préfacé par Rilke.

    Rien ne finit.

    Rilke, Lettres à un jeune peintre, Balthus, Éditions de l’Aire Archimbaud 1993

    Philippe Rahmy - 6 octobre 2005

    Source: Remue.net

  • Catégories : La littérature

    Le secret peut-être levé sur la mort du père du "Petit prince"

    439663450.jpg

    Une maquette du Ligthning P-38 d'Antoine de Saint-Exupéry et des morceaux de l'épave de l'avion de l'auteur du "Petit prince". Horst Rippert, un Allemand de 88 ans qui se présente comme un ancien combattant de la Luftwaffe, déclare dans un livre à paraître qu'il est celui qui a abattu le 31 juillet 1944 au-dessus de la Méditerranée l'avion d'Antoine de Saint-Exupéry. /Photo d'archives/REUTERS

    PARIS (Reuters) - Un ancien as de la Luftwaffe âgé de 88 ans a peut-être levé le mystère de la disparition, le 31 juillet 1944, d'Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l'aviation commerciale et auteur mythique du "Petit prince", un des livres français les plus lus et traduits dans le monde.

    En déclarant être celui qui a abattu au-dessus de la Méditerranée, au large de Marseille, le Lightning P-38 d'Antoine de Saint-Exupéry, Horst Rippert, 88 ans, a aussi dissipé une légende qui voulait que l'écrivain et aviateur se soit suicidé.

    "J'ai plongé dans sa direction et j'ai tiré, non pas sur le fuselage mais sur les ailes. Je l'ai touché, le zinc s'est abîmé, droit dans l'eau, il s'est écrasé en mer. Personne n'a sauté", déclare l'Allemand dans le livre à paraître "Saint-Exupéry, l'ultime secret".

    Cet "as" de la Luftwaffe, décoré pour ses multiples victoires aériennes, est devenu après la guerre journaliste sportif à la télévision ZDF.

    Au moment où il volait pour ce qui devait être sa dernière mission, Antoine de Saint-Exupéry était une icône internationale, mais il était à bout de forces, désespéré du futur tel qu'il le voyait, ce qui a fait dire à certains de ses biographes qu'il avait souhaité la mort qui l'attendait.

    "Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m'épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j'étais fait pour être jardinier", écrivait-il dans une lettre à un ami juste avant sa disparition.

    Dans son livre "Pilote de guerre", publié en 1942, il écrivait aussi: "La guerre n'est pas une aventure. La guerre est une maladie, comme le typhus".

    "Ses dernières lettres montrent quelqu'un d'abattu. Il était physiquement très atteint, blessé par la vie. Le seul fait d'embarquer dans un avion était un risque énorme. Et il avait produit son oeuvre", a dit Olivier Poivre d'Arvor, l'un de ses biographes, interrogé dimanche par Reuters.

    LE PETIT PRINCE

    "Saint-Ex", qui n'avait pas d'enfants, souffrait d'une histoire d'amour troublée avec son épouse Consuelo et de critiques sur son exil à New York après la défaite de 1940, où il avait semblé pencher pour Vichy en lançant à la radio en novembre 1942 : "Français, réconcilions-nous pour servir!".

    Après qu'il ait repris du service en 1943, plusieurs incidents et son âge, 44 ans, avaient poussé un an plus tard la France libre à le mettre en réserve, mais Antoine de Saint-Exupéry avait obtenu du commandement américain le droit de reprendre l'air dans une unité basée en Corse, d'où il a décollé pour son dernier vol de reconnaissance.

    En 1943, était sorti aux Etats-Unis son chef-d'oeuvre, "le Petit prince", conte philosophique illustré de la main de l'aviateur et prenant la forme d'un récit pour enfant, qui devait devenir un classique des écoles du monde entier.

    Ironie du sort, l'homme qui dit lui avoir donné la mort, Horst Rippert, explique avoir admiré l'écrivain.

    "Son oeuvre a suscité les vocations de nombre d'entre nous. J'aimais le personnage Si j'avais su, je n'aurais pas tiré, pas sur lui!", dit l'Allemand selon le livre.

    Il n'a appris que plus tard qu'il pouvait s'agir de lui. "Quelle catastrophe! Mais qu'est-ce que tu as fait, me suis-je dit! Mais je ne l'ai pas vu. Je n'ai pas visé un homme que je connaissais. J'ai tiré sur un avion ennemi qui s'est abattu, et voilà", ajoute-t-il.

    Engagé dès 1926, à 26 ans, dans la compagnie Latécoère, pour les vols commerciaux entre France et Afrique, "Saint-Ex" avait rejoint un autre mythe, Jean Mermoz, en 1929 en Amérique du sud. Avec "Courrier sud" en 1929 et "Vol de nuit" en 1931, il a contribué à populariser l'aviation jusqu'à aujourd'hui.

    En 1998, un pêcheur avait remonté sa gourmette dans ses filets. Deux ans plus tard, des morceaux de son appareil ont été retrouvés en Méditerranée, au large de Marseille, et identifiés en avril 2004 grâce à son numéro de série. Tous les objets sont exposés au musée du Bourget.

    Thierry Lévêque

  • Catégories : La littérature

    Sur L’Astrée

    Jean-Yves Vialleton

    Tony Gheeraert, Saturne aux deux visages. Introduction à L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Rouen, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2006, coll. « Cours/Littérature ».

     

     

     

    On trouvera dans ce livre un panorama organisé de différentes lectures de L’Astrée. Le roman doit être resitué dans le genre pastoral : rêverie sur un âge d’or, mais sur fond de mélancolie (chapitre 2 et titre du livre). Il doit l’être aussi dans un contexte historique et idéologique (retour à la paix sous le règne du premier Bourbon, promotion de nouvelles valeurs sociales), qui donne tout son sens au cadre gaulois et à la représentation de l’ancienne chevalerie (chapitres 3 et 4). Une place importante doit être bien sûr faite aux questions posées par les représentations de l’amour (chapitre 5). Mais la question la plus fondamentale, parce que la plus troublante, est posée par l’importance donnée dans le roman à l’illusion et à l’ambiguïté des signes (chapitres 6 et 7). Le livre de Tony Gheeraert offre aussi une notice sur Urfé (chapitre 1), un aperçu de la fortune de L’Astrée (chapitre 8 et dernier), une « bibliographie sélective » et même quelques textes choisis. Il se présente en effet modestement comme un cours d’introduction à L’Astrée et, du genre dans lequel il s’inscrit, il a toutes les qualités de densité et de clarté, qui rendent ridicule la tentative d’en donner un résumé. Mais il offre bien plus que cela. Il y a d’abord l’effet d’intelligence que seule produit une synthèse, et qui fait regretter qu’on ne dispose pas sur bien d’autres œuvres et auteurs de tels ouvrages offrant commodément « l’état de la question ». Il y a ensuite une lecture personnelle de l’œuvre qui organise le panorama critique et donne à l’ensemble comme un sombre glacis : le livre s’inscrit en effet dans le fil des études qui voient l’univers de ce roman comme un « paradis désespéré », reflet de la crise de l’âge baroque.

    À propos de L’Astrée existent deux questions irritantes et fascinantes à la fois, en ce qu’elles impliquent des questions plus larges de théorie de la littérature, comme disent les auteurs anglo-saxons. La première concerne la « philosophie d’Urfé ». Le néo-platonisme a longtemps été donné comme la clé philosophique du roman (thèse de Maxime Gaume sur les sources de l’œuvre d’Urfé) : cette affirmation est encore reçue comme une évidence par certains, mais elles donnent lieu à des discussions (voir page 886-92 et note 4 de la page 88). La deuxième question porte sur la valeur à donner aux suites et fins publiées après la mort de l’auteur. On s’accordait à faire confiance à la fin du roman donnée par Baro. Le livre signale que cette hypothèse est aujourd’hui remise en question (Eglal Henein), mais il la retient dans la lecture qu’il propose (p. 18, p. 164-177). Tout se passe comme si lire L’Astrée, c’était donc inventer au roman la fin qui lui manque, ce « point final » (Paul Ricœur) par lequel le sens se construit, même si ce sens ne devait être que la révélation de la « faillite du sens ».

    Ce livre a le bonheur d’ouvrir une période qui ne pourra pas manquer de remettre sur le devant de la scène dix-septièmiste le roman d’Honoré d’Urfé. Le quatrième centenaire de la parution de la première partie de L’Astrée (1607-2007) qui a été marqué par la sortie du film d’Éric Rohmer constituera aussi sans aucun doute une date dans les études sur l’œuvre d’Honoré d’Urfé. Une équipe animée par le Professeur Delphine Denis prépare une édition critique du roman qui paraîtra chez Honoré Champion directement en format de poche. Cette équipe a déjà fondé un site qui offre notamment l’édition hypertextuelle du roman, « Le Règne d’Astrée » (http://www.astree.paris-sorbonne.fr/). Elle a organisé des colloques et journées d’études : « Éditer L’Astrée » (octobre 2006, actes à paraître dans la revue XVIIe siècle), « La gloire de L’Astrée (juillet 2006) et « Lire L’Astrée » (octobre 2007, actes à paraître aux Presses Universitaires de la Sorbonne). Parallèlement un colloque franco-allemand (Prof. Dr. Reinhard Krüger), « L’Astrée dans tous ces états » a eu lieu en juillet 2007. Ces différents travaux permettront d’approfondir certaines questions (héritage du roman grec dont la fortune a fait l’objet d’un livre de Laurence Plazenet signalé par T. Gheeraert dans la bibliographie), de les reposer en d’autres termes (rapport de la « pensée du roman » et de la pensée philosophique, objet d’une thèse en cours de J.-B. Rolland, Paris-IV) et d’en formuler de nouvelles, en particulier sur trois points différents mais qui constituent sûrement une trinité pour ce qui est d’Urfé, l’histoire du livre (« bibliographie matérielle » du roman), l’histoire de la langue française et l’histoire des idéaux stylistiques.

    Publié sur Acta le 13 février 2008
  • Catégories : La littérature

    A rebours, quand l’écrivain se relit

    Noro Rakotobe-D’Alberto

    La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes, Tome I, Tombeaux et testaments, Tome II, Se relire contre l’oubli ? XXe siècle, sous la direction de Mireille Hilsum, « Les cahiers de Marge » n° 2 et 3 Paris, Éditions Kimé, 2007, 240 et 272p.

    Les deux tomes de La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes dirigés par Mireille Hilsum rassemblent les vingt-neuf études issues d’une journée d’étude et d’un colloque organisés à l’université de Jean Moulin en 2005 et 2006. Le premier tome s’attache aux auteurs du XVIIIe à la première moitié du XXe siècle, de Rousseau à Robert Musil. Le second se consacre à la relecture liée spécifiquement à l’édition au XXe. Se relire pour un écrivain le renvoie au temps de la genèse de l’œuvre et l’oblige à se repositionner par rapport à ce qu’il fut, dans un contexte différent, en tenant compte de la réception de l’œuvre, de ce que lui-même est devenu. Le sujet concerne autant le rapport à soi ressaisi dans des temporalités différentes et que le rapport à autrui, lecteur et critique. Il pose la question de la création, de la fabrique littéraire tout autant à travers l’élaboration du péritexte, préface, notes, postfaces et autres lieux où l’auteur entre en dialogue, qu’à travers le remaniement d’un texte. C’est une activité hautement ambivalente qui oscille entre rejet, mélancolie et émerveillement, nostalgie.

    Le premier tome, Tombeaux et testaments, s’ouvre sur une introduction de Mireille Hilsum qui pose les enjeux de la relecture. Il regroupe quatorze articles organisés autour de quatre pôles : I. Vieillir, relire, II. La scène et le livre, III. Refaire / défaire, IV. Se relire ou non. Le second recueil, Se relire contre l’oubli ? XXe siècle comporte quinze articles également précédés d’une préface de Mireille Hilsum. Ce second opus, s’organise en trois parties dont le deuxième se subdivise en trois chapitres : I Relecture et édition, II Relecture et histoire littéraire, chapitre 1 : se souvenir ou non ?, chapitre 2 : relecture et création, chapitre 3 : l’âge des anonymes, III Relire la poésie.

    La relecture ressuscite le passé et ce retour provoque des réactions ambivalentes. Certains artistes y voient l’occasion, de redéfinir leur ethos d’écrivain ou leur idéologie. Laurent Mattiusi s’attache à la façon dont Nietzsche à travers le texte Ecce Homo, se pose comme un génie, placé sous le patronage de Dionysos, le dieu des Mystères. David Vrydaghs s’attache au cas d’Emergences-Résurgences d’Henri Michaux. Le poète revient sur la supériorité du peintre sur l’écrivain. La fonction cathartique de la peinture, plus adéquate pour parler de soi, est soulignée.

    Modifier ses positions est parfois nécessaire face à une évolution du contexte ou de soi. Pour Aude Déruelle, Balzac en réécrivant les Chouans superpose plusieurs versions qui rendent le texte ambigu sur le plan politique et axiologique. Le palimpseste oriente le texte in fine vers le légitimisme quand les textes antérieurs demeuraient plus indéchiffrables et reflétaient davantage « l’opacité des signes et l’errance du sens » (Tome I, p. 183) caractéristiques du contexte historique agité. Proust adopte une posture de circonstance dans Pastiches et mélanges selon Françoise Leriche. La priorité qui motive ce travail de mise en recueil de divers textes publiés pour les journaux et revues est à mettre en rapport avec les visées académiques de Proust. Ces textes dressent opportunément l’ethos d’un écrivain conservateur en phase avec la société de l’après-guerre. Pour Laurent Mattiusi, Michel Foucault manifeste l’évolution de sa pensée en supprimant dans la réédition la préface de l’Histoire de la folie. Sa pensée est désormais plus nietzschéenne. Il tient surtout à se poser non plus tant comme sujet que comme auteur qui refuse d’imposer une grille de lecture.

    Relire conduit donc à réactualiser d’anciennes postures, à recontextualiser un ancien soi. Cette opération s’opère entre renoncement, mélancolie et pragmatisme éditorial. Il s’agit d’aller à la rencontre d’un public dont la réception doit être prise en compte. Pour Bérengère Voisin, l’édition de New York des œuvres de Henry James constitue « une ultime tentative de séduction » (Tome II, p. 25) du lectorat. L’auteur s’implique de façon passionnelle dans la relecture de ses œuvres. Revenir en arrière, c’est se replonger dans le plaisir de la création. Mais la réédition est liée à une stratégie commerciale qui vise à réorganiser l’œuvre, permettre une réévaluation par le biais notamment du choix des photographies illustrant l’œuvre. Séduire à nouveau et même restaurer l’image de soi, c’est ce à quoi s’efforce Lamartine selon Aurélie Loiseleur. Le recueil des Méditations que le poète commente est mythifié en tant qu’entreprise de refondation de l’œuvre. Il faut se revaloriser face aux attaques, aux adversités littéraires, politiques. Crébillon relecteur d’Ah quel conte ! souhaite aussi, selon Régine Jomand-Baudry, restaurer un ethos auctorial écorné. Il s’attache en outre plus fondamentalement à renouveler le genre du conte qui devient le laboratoire d’expérimentations littéraires, inachèvement, intégration de formes hétérogènes, métadiscours…

    Le travail sur le style manifeste en effet l’évolution de l’écrivain. Flaubert relisant et réécrivant l’Éducation sentimentale réoriente le texte sur le plan esthétique davantage vers le modèle de Bouvard et Pécuchet que celui de Mme Bovary pour Stéphanie Dord – Crouslé. La parataxe notamment place le monde « sous le signe du hasard et de la discontinuité ». (Tome I, p. 201) Cioran qui dirige la traduction roumaine de Des Larmes et des Saints selon Nicolas Cavaillès épure le texte et le mène vers une esthétique plus classique que l’original.

    La relecture reste le moment privilégié d’établir un dialogue constant avec ses lecteurs. Le discours poursuit un but clairement apologétique pour un Rousseau vieillissant qui se partage, selon Michel O’Dea, entre méditation et combat infini pour se défendre contre les ennemis. Beaumarchais utilise ses préfaces comme des boucliers contre la critique et tente d’orienter la réception de ses textes. Pour Christelle Bahier-Porte, elles permettent, en outre, au dramaturge d’établir des mises au point théoriques sur le statut de l’auteur et sur le projet de rénovation d’un théâtre qui prend le roman comme horizon. Champfleury aussi redéfinit sa pratique en se relisant selon Gilles Bonnet. Il s’agit de se poser comme le « mimographe » (Tome I, p.88), l’ « inventeur de la pantomime réaliste, logique et vraisemblable » (Tome I, p.89). Andréas Pfersmann étudie les marges de Henri Matisse, Roman d’Aragon. Celles-ci, par le biais des notes notamment, permettent à Aragon de présenter Matisse à la fois comme personnage et « co-auteur ». (Tome II, p.61) L’écrivain rapporte les commentaires sur le texte que le peintre a pu livrer de son vivant. Ces remarques portent également sur Aragon lui-même. Ils proposent en outre une lecture de l’œuvre non linéaire.

    Le retour sur l’œuvre passée est donc orienté vers le lecteur ou vers sa propre pratique, vers soi. Jean-Louis Jeannelle étudie la façon dont divers écrivains tentent de se ressaisir à travers leurs Mémoires, d’Elie Wiesel à Simone de Beauvoir, de Régis Debray à André Malraux.La relecture peut en effet jouer le rôle d’un point de départ, d’un tremplin vers de nouvelles créations plus fécondes ou au contraire celui d’une origine fantasmée qui échappe à jamais. Pour Philippe Jaccottet, le poème fini, lié à une émotion particulière est rejeté dans une étrangeté intrinsèque. Lionel Verdier souligne que pour le poète, relire relève d’une quête impossible d’un centre qui se dérobe. Les Écrits minuscules de Pierre Michon, selon Laurent Demanze, témoignent également de la frustration qu’entraîne l’entreprise de relecture en ce sens que le récit premier, mythifié, fétichisé et pétrifié reste la « ligne asymptotique » vers laquelle tendre indéfiniment. La répétition échoue, elle ne peut devenir une reprise satisfaisante. Françoise Genevray souligne que lorsque Georges Sand se relit, ce n’est pas tant pour commenter l’œuvre passée que pour se projeter dans l’œuvre à venir. L’oubli est préférable à un mouvement de rétrospection qui briserait l’élan créateur. « Eviter de relire », ce serait « donner une chance à Corambé1 de revenir » (Tome I, p. 196).

    D’autres auteurs en revanche, se relisent pour faire avancer la création, réagencer la matière narrative, faire surgir d’autres possibles narratifs. Goethe, auquel s’intéresse Martin Raether, retravaille inlassablement les motifs aquatiques qui lui permettent de juguler de façon cathartique ses tendances destructrices. Jean Giono d’Angelo au Hussard sur le toit, revient sur ses méthodes de travail selon Alain Schaffner. Il remanie la matière narrative tout en l’enrichissant de nouveaux épisodes. Dans le cas de Diderot auquel s’intéresse à nouveau Michel O’Dea, revenir sur l’œuvre écrite permet essentiellement de reprendre des textes antérieurs. Le Rêve de d’Alembert doit être reconstitué d’après des bouts de manuscrits retrouvés. La Lettre sur les aveugles permet de marquer l’évolution de la pensée par une mise à distance partielle. La Religieuse est à la fois remanié et doté d’une préface importante sur le plan théorique puisqu’y est abordé la question de l’illusion romanesque. André du Bouchet réagence également des textes antérieurs dans le recueil L’Ajour. Ce travail d’  « ajourage », véritable travail plastique pour Anne Malaprade « rétablit la lumière dans « l’obscurité des pré-textes sans pour autant résoudre l’énigme du réel » (Tome II, p. 215). L’accent est mis sur la matérialité d’un texte « assoiffé de ruptures » qui tente de faire circuler « ce dont l’être humain manque : l’air, le vent, le souffle. » (Tome II, p. 217)

    Réécrire les textes s’opère parfois de façon plus radicale par des réorientations génériques ou la mise en place d’expérimentations littéraires. Jean-Marie Seillan revient sur les trois états du texte de Zola, L’Attaque du moulin. Les transformations génériques font passer le texte de la relation d’une simple anecdote historique à un quasi manifeste et pour finir à un livret d’opéra. Les changements de statut s’accompagnent du passage du naturalisme au lyrisme. La réception polémique de son roman contre la guerre d’Algérie qui actualise la notion originale de « sensure » (Tome II, p. 133), (« [dénaturer] les mots en vouant un culte à l’information quantitative qui dévalue le langage et véhicule un savoir vidé de toute substance critique (Tome II, p. 133)) pousse Bernard Noël à transformer Le Château de Cène en pièce de théâtre. Mais le réel, le procès, s’invitent dans les marges du texte selon Anne Malaprade.

    La relecture qui oscille entre création et déconstruction, oubli et célébration nostalgique se joue fondamentalement entre clôture et inachèvement, morcellement et totalisation, élaboration de l’œuvre monument. Olivier Catel assimile la composition de la Vie de Rancé à une « esthétique de la mosaïque » (Tome I, p. 137). Chateaubriand dans une œuvre plus autobiographique que réellement biographique peut enfin mettre en œuvre ce qu’il admire tant dans les beaux-arts, le « sublime de la religion » (Tome 1, p. 150). Le texte met le point d’orgue à la création par l’auteur de sa cathédrale littéraire, en revenant à travers l’autocitation et l’intratextualité sur le reste de l’œuvre monumentale.

    Florence Godeau pose la question de la modernité à travers celle de l’ouverture de l’œuvre, de son inachèvement à travers Marcel Proust et Robert Musil  La critique rappelle le débat qui oppose les critiques proustiens sur l’achèvement ou non de l’œuvre. Jean-Yves Tadié souligne l’achèvement fondamental d’une « œuvre cathédrale » (Tome I, p. 218) conçue comme un tout. D’autres critiques soulignent la relecture et les corrections incessantes auxquels se livraient l’auteur de la Recherche. L’impossibilité de revenir sur les trois derniers romans publiés de façon posthume inscrit l’œuvre dans l’inachèvement. Pour Musil, la question se pose autrement, s’il corrige également ses textes d’une façon inlassable, en butte à des circonstances extérieures qui l’oblige à échelonner la publication de ses textes, en revanche, il porte le projet d’un livre intrinsèquement ouvert, un « Livre-mobile, dont les feuillets auraient pu être lus de manière plus ou moins aléatoire ». (Tome I, p. 225) Pour Roland Barthes, la question éminemment moderne de l’inachèvement se pose aussi. Laurent Demanze s’intéresse au retour incessant sur soi d’un sujet mélancolique. La relecture permet de fictionnaliser le sujet. Différents masques se mettent en place et permettent de le morceler.

    Le dernier mot est laissé au poète Esther Tellerman qui revient sur sa propre pratique et assimile la relecture à une zone vide « entre-deux-morts » (Tome II, p. 253). C’est un moment qui se situe entre fécondité et dépossession. Il est mélancolique et heureux à la fois.

    Publié sur Acta le 21 janvier 2008
    Notes :
    1 Voir pour cette figure de Corambé l’étude de Pierre Laforgue, Corambé. Identité et fiction de soi chez George Sand, Paris, Kliencksieck, 2003.
  • Catégories : La littérature

    François, Claude, Jean, Luce et les autres

    Jean-Claude Lamy
    31/01/2008 | Mise à jour : 11:22 |

    De Claude Mauriac à Anne Wiazemsky, l'auteur du «Mystère Frontenac» a donné naissance à une dynastie d'écrivains, tous différents.

    Fils à papa ou digne rejeton de leur célèbre père ? Chez les Mauriac, il n'était pas facile d'imposer son style à l'ombre du Dieu tutélaire que représentait le Prix Nobel de littérature. Sous sa protection, la famille vivait comme une tribu dont les enfants et petits-enfants se chamaillaient tout en témoignant ouvertement leur affection à l'auteur du Noeud de vipères.

    Claude Mauriac (1914-1996), l'aîné, et son frère cadet Jean, né en 1924, qui se sont souvent opposés, faisaient front commun lorsque François Mauriac était en butte à des attaques. Ainsi avaient-ils été révoltés par l'article de Bernard Frank dans France Observateur du 25 mai 1961. À l'époque, l'écrivain venait d'abandonner L'Express pour Le Figaro Littéraire où réapparut son « Bloc-notes ». Frank n'y est pas allé par quatre chemins : «Ce qui m'intéresse chez Mauriac, c'est que ce romancier médiocre, ce polémiste qui connaît bien, trop bien, trop scolairement la polémique d'antan, ce poète débile, ce dramaturge insignifiant, réussit à merveille, dans la grande presse et dans le grand public, à se faire passer pour un écrivain »capital». Un phare. Une conscience. Jules Renard disait : »Pour devenir un génie, il faut être un boeuf. » Écrire, écrire, écrire. Mais non, c'est plus simple, il faut durer, louvoyer à travers les modes et les guerres, les armistices, les résistances et les libérations. L'astuce de Mauriac, c'est d'avoir, fort jeune encore, joué le vieillard ingambe (...)»

    En déboulonnant ce « monstre sacré », Bernard Frank voulait condamner un homme qui trahissait la gauche en se réfugiant au Figaro Littéraire. L'étriller, c'était une façon de fustiger son soutien à de Gaulle. L'année précédente, il avait reçu la grand-croix de la Légion d'honneur des mains du chef de l'État. En Conseil des ministres, le général déclara : «N'oublions pas que François Mauriac est le plus grand écrivain français vivant. » Devant l'air renfrogné d'André Malraux, il ajouta : «Les personnes présentes étant toujours exceptées.»

    Mauriac, qui publia un De Gaulle en 1964, se souvenait d'avoir déjeuné avec le général vingt ans plus tôt. Ce 1er septembre 1944, ce dernier était surtout soucieux de faire entrer André Gide à l'Académie française. « Qui l'eût cru ? De Gaulle m'interrogeait sur André Gide ! (...) Je me trouvais empêtré dans ce filet que tenait fortement le Parti communiste, j'aurais eu mon mot à dire sur sa tactique... Mais non : De Gaulle s'intéressait à André Gide !»

    Claude Mauriac, qui fut d'août 1944 à 1949 le secrétaire particulier du général de Gaulle, l'un des deux hommes qu'il a le plus aimés, l'autre étant François Mauriac, aura l'occasion, grâce à son père, d'entrer dans l'intimité de Gide et de lui consacrer un livre, Conversations avec André Gide, un volume rattaché au Temps immobile, son fameux Journal. « J'oubliais bientôt en lui parlant qu'il était célèbre ; j'oubliais son âge et ce qui dans sa vie heurtait l'expérience que j'avais moi-même de la vie ; il ne savait plus que j'étais un obscur jeune homme. S'il y avait une différence encore, entre nous deux, elle tenait à sa jeunesse, plus triomphante et plus vive que n'était ma jeunesse (...) »

    Jean Touzot, spécialiste des oeuvres de François Mauriac et de Jean Cocteau, dans sa présentation de Quand le temps était mobile, recueil de chroniques de Claude Mauriac, remarque : « Lorsqu'on a un père célèbre et religieusement admiré, comment ne succomberait-on pas à la tentation de suivre son exemple, et dans les deux principaux domaines où il s'illustre : la littérature et le journalisme ? » Mais avant d'oser signer de son nom patronymique, il utilisera des pseudonymes. En 1936, une boutade désobligeante de son père faisant goûter à un invité le vin de sa propriété de Malagar l'avait terrassé : « Ce vin doit son seul intérêt à son propriétaire. Comme Claude. »

    «La Bicyclette bleue», écrite à Malagar

     

    De quoi traumatiser ce jeune homme de vingt-deux ans qui ne cessera de se démarquer de son illustre géniteur tout en continuant de l'aimer. Après avoir été un militant de droite en 1934, il se fera traiter par Georges Pompidou de « passionné gauchiste ». Son amitié pour Maurice Clavel et Michel Foucault, ses combats de « soixante-huitard », sa soif de fraternité, son coeur rebelle, le distinguent au sein d'une famille qui compte également deux oiseaux rares. Sa nièce Anne Wiazemsky, devenue romancière après avoir été actrice, notamment l'héroïne du film La Chinoise (1967) de Jean-Luc Godard qu'elle avait épousé, et son frère Pierre, le futur dessinateur caricaturiste sous le nom de Wiaz et mari de Régine Deforges, l'auteur de La Bicyclette bleue.

    Je me souviens d'un Claude Mauriac très choqué d'apprendre qu'elle avait écrit en partie son best-seller sur le bureau de François Mauriac à Malagar... En 1985, à l'occasion du centenaire de la naissance de son père, nous avions réalisé, sur une idée de son fils Gérard et de sa belle-fille Laurence, un album paru chez Stock. Il réunissait des photos prises par Jeanne Mauriac, l'épouse de François. Les découvrir au fil d'une vie, c'est tenter de déchiffrer des images, parfois surprenantes, de l'écrivain. Feuilleter aujourd'hui les pages de ce « Mauriac intime » nous renvoie à des temps oubliés qui voudraient échapper à la mort. Détresse et tendresse d'un clan lourd de secrets et d'intrigues.

    Quand le temps était mobile Chroniques 1935-1991 de Claude Mauriac Édition établie par Jean Touzot Bartillat, 343p., 22€.

    http://www.lefigaro.fr/livres/2008/01/31/03005-20080131ARTFIG00420-francois-claude-jean-luce-et-les-autres.php

  • Catégories : La littérature

    Jacques Chessex «au coeur des ténèbres»

    par Julien Bisson
    Lire, février 2008

    72258439287f10267e4b9341edb8d0f5.jpg

    © Franck Courtès

     

     Le romancier suisse vit depuis trente ans à Ropraz, petit village faussement paisible où règnent légendes et superstitions. Hanté par le décès de sa mère, survenu il y a sept ans, il lui dédie deux ouvrages sur lesquels plane son souvenir ému.

    première vue, tout a l'air calme. Ni l'imposante chaîne des Alpes à l'horizon, ni le chant criard des mésanges ne semblent pouvoir troubler la tranquillité de Ropraz, petite bourgade perchée à quelques kilomètres de Lausanne. Pour un peu, on se croirait dans un épisode de Heidi. Difficile donc d'imaginer les atrocités qu'ont pu abriter ces lieux, et dont Jacques Chessex se faisait l'écho l'an passé, avec force détails, dans Le vampire de Ropraz: au début du XXe siècle, plusieurs tombes de défuntes, dont celle de la jeune Rosa, furent profanées, les corps dépecés et violés. Un jeune valet du nom de Favez, un peu attardé et zoophile avéré, fut condamné - sans que le mystère soit complètement dissipé... «Les Français croient souvent que la Suisse est un pays neutre et paisible, mais ils se trompent!» jure Jacques Chessex, dans son phrasé élégant, mâtiné d'une pointe d'accent. «En réalité, c'est une terre de violence et de sorcellerie, surtout dans ces petits villages en hauteur, longtemps restés à l'écart.» C'est pourtant ici que l'auteur de Monsieur s'est installé, il y a trente ans, dans une maison paysanne qu'il a fait construire grâce au succès de L'ogre (prix Goncourt en 1973). A presque 74 ans, l'écrivain, poète, romancier et essayiste y goûte, loin du tapage parisien, le plaisir de la réclusion, du «désencombrement».

    Sa demeure ne fait d'ailleurs pas dans l'épate. Précédé d'une petite terrasse, l'intérieur, plutôt rustique, frappe surtout par l'omniprésence de toiles accrochées à tous les murs de la maison. Si la plupart ont été exécutées par des amis peintres, tels que Pietro Sarto, Oscar Lagunas ou Zao Wou-ki, d'autres sont signées par Chessex lui-même. «Je n'ai commencé à montrer mes toiles qu'à l'âge de 60 ans, à la demande de François Nourissier. Depuis, j'ai exposé dans plusieurs galeries européennes.» Le motif, invariable, représente un Minotaure, souvent entouré de femmes, dans des positions plutôt explicites. «C'est un personnage qui m'est très fraternel, explique-t-il. Mi-homme, mi-bête, il annonce la mort et se nourrit de jeunes filles.» En passant, on remarque, menant à l'étage, l' «escalier des dames», où s'exhibent sans pudeur des dizaines de femmes nues et alanguies.

    Plus austère, le vaste bureau de l'écrivain est à peine éclairé par la lumière d'hiver. Sur ses longues étagères se côtoient Ramuz, Mauriac, Blanchot, René Char, ou encore Jean Giono, auteur chéri - il reçut en 2007 le Grand Prix qui porte son nom. Dans une vitrine, un objet brillant et incongru: un large couteau un peu rouillé, dont la lame approche les vingt centimètres. «Mon fils l'a trouvé l'an dernier, alors qu'il braconnait des truites dans le torrent, en contrebas du cimetière. C'est un couteau de boucherie des années 1900, très certainement celui qu'utilisa Favez pour ouvrir le ventre de la jeune Rosa, avant de le lancer au-dessus du parapet», assure Chessex. On s'étonne un peu de trouver là cet objet assassin exhibé comme un trophée. «On me traite souvent de fou, de nécrophage. Mais il n'y a aucune morbidité en moi, aucun attristement sur le funèbre», se défend l'auteur.

    Dans un coin du bureau sont empilés une dizaine d'ouvrages consacrés aux oiseaux, l'une des marottes de l'auteur. «C'est une passion qui remonte à l'enfance, quand ma mère m'apprenait à les reconnaître. Sans elle, je n'aurais jamais connu ces choses-là.» Cette mère à qui il dédie aujourd'hui un recueil de poèmes, Revanche des purs, et un récit, Pardon mère. Dans ce beau texte, le fils évoque cette femme pure et dévouée, protestante éclairée, amoureuse de la nature et de ses élégies, et dont il regrette de ne jamais s'être montré plus digne. «Lorsque ma mère m'a annoncé, dans ses derniers mois de vie, qu'elle ne désirait pas de tombe, j'ai su que j'écrirais ce livre, en hommage à son souvenir, mais aussi comme lieu de recueillement», avoue-t-il avec émotion. Sans jamais verser dans un pathos inutile, l'auteur trace ainsi le parcours de ce lien filial, de cet amour universel, dont la rupture laisse des blessures inguérissables. «Le deuil est une chose impossible. Mais ce livre me permet aujourd'hui de mieux écouter ma mère, dans cette étrange présence qu'est celle des morts.»

    A ces mots, on comprend pourquoi l'attire tant le petit cimetière de Ropraz. C'est ici qu'il parvient le mieux à écrire, dans un petit carnet qui ne le quitte jamais: «J'aime me reposer sur le petit banc de l'entrée, à l'aube, lorsque surgissent les odeurs du matin, des bêtes qu'on vient de traire, de la terre profonde et humide. C'est le meilleur moment pour écrire de la poésie.» Il arpente ce royaume de pierres, présente les morts un à un, montre du doigt l'endroit exact où fut déterré le cadavre de Rosa. «Ils ont refait le cimetière il y a quelques années, et sa stèle a disparu», confie-t-il avec une pointe de déception. «Ce que je vois ici convient à mon appétit pour la beauté, souffle-t-il. Des forêts sublimes, dignes de Schubert, le petit pont au-dessus de la rivière à truites, la couleur des saisons qui passent... Il n'y a ici aucun obstacle entre le monde et moi.»

    Sa demeure ne fait d'ailleurs pas dans l'épate. Précédé d'une petite terrasse, l'intérieur, plutôt rustique, frappe surtout par l'omniprésence de toiles accrochées à tous les murs de la maison. Si la plupart ont été exécutées par des amis peintres, tels que Pietro Sarto, Oscar Lagunas ou Zao Wou-ki, d'autres sont signées par Chessex lui-même. «Je n'ai commencé à montrer mes toiles qu'à l'âge de 60 ans, à la demande de François Nourissier. Depuis, j'ai exposé dans plusieurs galeries européennes.» Le motif, invariable, représente un Minotaure, souvent entouré de femmes, dans des positions plutôt explicites. «C'est un personnage qui m'est très fraternel, explique-t-il. Mi-homme, mi-bête, il annonce la mort et se nourrit de jeunes filles.» En passant, on remarque, menant à l'étage, l' «escalier des dames», où s'exhibent sans pudeur des dizaines de femmes nues et alanguies.

    Plus austère, le vaste bureau de l'écrivain est à peine éclairé par la lumière d'hiver. Sur ses longues étagères se côtoient Ramuz, Mauriac, Blanchot, René Char, ou encore Jean Giono, auteur chéri - il reçut en 2007 le Grand Prix qui porte son nom. Dans une vitrine, un objet brillant et incongru: un large couteau un peu rouillé, dont la lame approche les vingt centimètres. «Mon fils l'a trouvé l'an dernier, alors qu'il braconnait des truites dans le torrent, en contrebas du cimetière. C'est un couteau de boucherie des années 1900, très certainement celui qu'utilisa Favez pour ouvrir le ventre de la jeune Rosa, avant de le lancer au-dessus du parapet», assure Chessex. On s'étonne un peu de trouver là cet objet assassin exhibé comme un trophée. «On me traite souvent de fou, de nécrophage. Mais il n'y a aucune morbidité en moi, aucun attristement sur le funèbre», se défend l'auteur.

    Dans un coin du bureau sont empilés une dizaine d'ouvrages consacrés aux oiseaux, l'une des marottes de l'auteur. «C'est une passion qui remonte à l'enfance, quand ma mère m'apprenait à les reconnaître. Sans elle, je n'aurais jamais connu ces choses-là.» Cette mère à qui il dédie aujourd'hui un recueil de poèmes, Revanche des purs, et un récit, Pardon mère. Dans ce beau texte, le fils évoque cette femme pure et dévouée, protestante éclairée, amoureuse de la nature et de ses élégies, et dont il regrette de ne jamais s'être montré plus digne. «Lorsque ma mère m'a annoncé, dans ses derniers mois de vie, qu'elle ne désirait pas de tombe, j'ai su que j'écrirais ce livre, en hommage à son souvenir, mais aussi comme lieu de recueillement», avoue-t-il avec émotion. Sans jamais verser dans un pathos inutile, l'auteur trace ainsi le parcours de ce lien filial, de cet amour universel, dont la rupture laisse des blessures inguérissables. «Le deuil est une chose impossible. Mais ce livre me permet aujourd'hui de mieux écouter ma mère, dans cette étrange présence qu'est celle des morts.»

    A ces mots, on comprend pourquoi l'attire tant le petit cimetière de Ropraz. C'est ici qu'il parvient le mieux à écrire, dans un petit carnet qui ne le quitte jamais: «J'aime me reposer sur le petit banc de l'entrée, à l'aube, lorsque surgissent les odeurs du matin, des bêtes qu'on vient de traire, de la terre profonde et humide. C'est le meilleur moment pour écrire de la poésie.» Il arpente ce royaume de pierres, présente les morts un à un, montre du doigt l'endroit exact où fut déterré le cadavre de Rosa. «Ils ont refait le cimetière il y a quelques années, et sa stèle a disparu», confie-t-il avec une pointe de déception. «Ce que je vois ici convient à mon appétit pour la beauté, souffle-t-il. Des forêts sublimes, dignes de Schubert, le petit pont au-dessus de la rivière à truites, la couleur des saisons qui passent... Il n'y a ici aucun obstacle entre le monde et moi.»

    http://www.lire.fr/portrait.asp?idc=52006&idR=201&idG=

  • Catégories : La littérature

    V. Magnol-Malhache, Théophile Gautier dans son cadre

    Théophile Gautier dans son cadre

    Véronique Magnol-Malhache

    • 232 pages, 93 illustrations
    • 18 x 24 cm
    • 28 €
    • broché avec rabats
    • En 2005, la bibliothèque André-Desguine des Archives départementales des Hauts-de-Seine fait l'acquisition d'un catalogue de la vente à Drouot en 1873 de la collection d'art du grand romancier Théophile Gautier (1811-1872). Ce volume unique portant encore des annotations au crayon sur les mises à prix, les prix d'achat, le nom de l'acquéreur et parfois son adresse, vient rejoindre dans le fonds Gautier le catalogue de la vente de la bibliothèque de l'écrivain qui, bien que né à Tarbes, vécut à Neuilly de 1857 jusqu'à sa mort. C'est à cette occasion qu'a germé l'idée de cet ouvrage qui, ni biographie exhaustive ni étude synthétique, se veut une évocation intimiste de sa présence à Neuilly. Concentré sur trois années particulièrement significatives dans la vie du créateur du Roman de la momie, il met en lumière des aspects singuliers ou peu connus de son parcours intellectuel et humain.
    • coédité avec les Archives départementales des Hauts-de-Seine
    • paru le 14 décembre 2007.

    Url de référence : http://www.somogy.net/fiche.php?ref=9782757201466

    http://www.fabula.org/actualites/article21991.php

    a1f35875b78161188352becf2a167dab.jpg

  • Catégories : La littérature

    Gloire et déboires des anciens Prix Goncourt

    Mohammed Aïssaoui
    21/01/2008 | Mise à jour : 15:56 |
    Commentaires 5
    .

    Treize anciens lauréats du Goncourt publient un livre, cinq, dix, trente ans après avoir obtenu la prestigieuse récompense. Qu'ont-ils fait de leur gloire ?

    Il y a trente ans, en 1978, Patrick Modiano décrochait le Goncourt avec Rue des boutiques obscures. En octobre dernier, il a publié Dans le café de la jeunesse perdue. Toute la presse en a parlé. Le livre s'est très bien vendu, près de 100 000 exemplaires. En 1979, la lauréate du Goncourt s'appelait Antonine Maillet; elle l'emportait avec Pélagie-la-Charrette. Caméras et micros se bousculaient à la sortie du restaurant Drouant pour parler de cette femme qui évoquait avec exotisme l'Acadie. Aujourd'hui, la romancière vit toujours au Canada. En France, combien sont-ils à la connaître? Son dernier ouvrage, paru en mars 2007, n'a pas dépassé les 500 exemplaires vendus.

    Modiano, Maillet, deux symboles d'un destin après le Goncourt. Treize anciens lauréats du prix, pas moins, publient ces temps-ci un nouveau livre. Que deviennent-ils, après que les projecteurs se sont éteints sur une gloire de quelques mois . Il y a ceux qui n'ont plus rien publié, tel Jean-Jacques Schuhl, le grand silencieux : aucun roman ni essai depuis son prix de l'année 2000. Plus dur, ceux que le Goncourt a «tués». Jean Carrière (Goncourt 1972 avec L'Épervier de Maheux) est décédé en mai 2005. Il ne s'était jamais remis de ce prix. Son livre posthume qui a été publié par Les Presses littéraires, une petite maison d'édition, installée à Saint-Estève (Pyrénées-Orientales), est passé complètement inaperçu. Cet ancien secrétaire de Jean Giono avait tout dit dans Le Prix d'un Goncourt, où il affirmait que la récompense l'avait «dépossédé», «disloqué», et que l'on ne mesurait pas assez «l'ampleur d'un séisme qu'est la consécration dans la vie d'un homme».

    Le Goncourt demande des nerfs solides. Car, au lendemain de sa proclamation, il se passe un phénomène curieux: la critique peut se faire plus méchante, voire violente. La gloire suscite agacement, jalousies. C'est un fait que connaissent les auteurs à succès. Éric-Emmanuel Schmitt n'a-t-il pas dit «à 4 000 exemplaires, vous êtes un génie, à 40 000 exemplaires, vous êtes suspect, à 400 000 exemplaires, vous devenez nul»? Pascal Lainé, Goncourt 1974, avait comparé le système des prix à l'élection d'une Miss: belle d'un jour. Lainé, qui avait écrit Sacré Goncourt ! pour… dénoncer le système, n'a jamais réussi à intéresser à nouveau. En fait, l'image des gagnants du Loto est plus juste. Certains se retrouvent déstabilisés face à leur bonne fortune médiatique et financière. Cet aspect psychologique, les jurés du Goncourt s'en soucient. Un éditeur confie qu'avant la proclamation des résultats (son auteur faisait partie de la dernière liste), un membre de jury l'a contacté pour mieux connaître la force mentale de l'écrivain. «Est-ce que le prix ne le bouleversera pas trop?», «Pourra-t-il très vite se remettre à écrire?» étaient quelques-unes des questions qui lui étaient posées… François Nourissier, lorsqu'il était le secrétaire général du prix, affirmait qu'«il faudrait tracer le portrait psychologique du candidat» . Ce n'était pas une boutade, il ajoutait «plus la personnalité est fragile, plus le Goncourt devient un traumatisme». Ce que confirme Nathalie Heinich, sociologue, chercheur au CNRS, qui a étudié ce phénomène. Dans L'Épreuve de la grandeur, prix littéraires et reconnaissance (La Découverte), elle a sondé sept lauréats (Jean Rouaud, Michel Tournier, Andreï Makine, Jacques Chessex, Jean Carrière…) et analysé la façon dont ils ont vécu leur nouvelle célébrité. Le constat est édifiant: la jouissance peut être souffrance; la renommée, la pire des épreuves. Pour passer le cap, Patrick Rambaud, Goncourt 1997, a eu recours à deux conseils: celui de Maurice Druon (Goncourt 1948) et celui de Jean-François Revel. Il raconte que le soir même de son sacre, le premier lui a prodigué des conseils immobiliers et le second intimé l'ordre de s'adjoindre un expert fiscal. Comment s'en sortir? La première méthode est de se remettre vite au travail. C'est de cette façon-là que Van Cauwelaert, Rouaud, Grainville, Rambaud ont passé le cap du succès soudain pour «s'installe». Ensuite, il convient de s'inventer ou de poursuivre d'autres centres d'intérêts. Orsenna s'adonne à la politique et au bateau, Rufin a continué son engagement dans l'action humanitaire : Action contre la faim, avant sa nomination comme ambassadeur au Sénégal. Dernier conseil : ne jamais «cracher dans la soupe». Car cette inélégance (parfois tentante), le milieu littéraire ne la pardonne jamais.

    http://www.lefigaro.fr/livres/2008/01/17/03005-20080117ARTFIG00432-gloire-et-deboires-des-anciens-prix-goncourt.php

  • Catégories : La littérature

    Éditer un roman qui n’existe pas (mais qui réinvente les Lumières deux siècles après sa rédaction)

    Yves Citton

    Jean Potocki, Œuvres, édition en 5 volumes réalisée par François Rosset et Dominique Triaire, Louvain, Peeters, 2003-2006. Les volumes IV,1 et IV,2 de cette édition paraissent en janvier 2008 dans la collection GF-Flammarion (http://www.fabula.org/actualites/article21827.php).

    Le présent article est d’abord paru dans la Revue internationale des livres et des idées (http://revuedeslivres.net/) ; il est ici reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et du comité de rédaction de la revue).

    Avez-vous lu le Manuscrit trouvé à Saragosse ? Pour tous ceux qui répondront par la négative, la solution est simple : qu’ils se jettent sans plus tarder sur ce roman que Salman Rushdie reconnaît pour l’un de ses modèles majeurs, et qui est en passe de figurer au rang des plus grands chefs d’œuvre de la littérature mondiale. Quant à ceux qui croiraient avoir déjà lu ce roman, dans l’une des éditions disponibles à ce jour (toutes partielles ou mutilées de diverses façons), la nouvelle est non moins réjouissante : l’heure est enfin venue de découvrir ce que l’auteur a véritablement écrit dans ce texte charnière de la modernité !

    Au-delà du seul Manuscrit, il faut saluer comme un événement éditorial marquant de cette décennie la publication des Œuvres complètes de Jean Potocki chez Peeters. Il y a moins événement par la taille du produit fini, qui comprend près de 3 000 pages de texte, que par le fait que ce soit la première fois que l’œuvre de cet écrivain majeur de l’Europe de la fin des Lumières reçoit une édition intégrale – qui plus est, une édition remarquablement présentée, savamment et judicieusement annotée par les deux universitaires les mieux placés pour réaliser ce grand oeuvre, auquel ils ont consacré une quinzaine d’années de travail. L’essentiel de l’événement est toutefois encore à venir : il s’agira de voir comment l’Europe du xxie siècle va digérer cette oeuvre de premier plan qui lui est désormais accessible dans de parfaites conditions. Afin de se donner la mesure d’un tel événement, commençons par rappeler sommairement la carrure et l’importance du personnage de l’auteur.

    Jean Potocki : l’homme et l’œuvre

    Jean Potocki, né en 1761 en Podolie (actuellement située en Ukraine) où il finit par se suicider en 1815, a été tout à la fois un membre de la plus haute noblesse polonaise, un patriote engagé dans la lutte de son pays contre l’hégémonie russe, un savant orientaliste dressant pour le Tsar (son ex-ennemi) des plans de colonisation du Caucase (et de la Tchétchénie), un grand intellectuel européen parlant d’égal à égal aux derniers Philosophes et aux plus célèbres Idéologues, un chevalier de l’ordre de Malte, un aventurier avide des frissons que procuraient les premières ascensions en aérostats, un historien espérant modéliser les lois d’évolution des civilisations à travers des séries chronologiques, un dessinateur de croquis d’une vivacité admirable, ainsi que l’un des fondateurs de la réflexion ethnologique au cours des voyages incessants qui l’ont entraîné en Egypte comme au Maroc, en Turquie comme en Mongoliei.

    Chemin faisant, cet auteur emporté pendant toute sa jeunesse dans ce qui semblait devoir être un mouvement perpétuel, a laissé un corpus d’œuvres aussi conséquent par son poids et sa valeur que surprenant dans sa diversité corpus intégralement rédigé en français, langue qu’il maîtrisait mieux que le polonais. De ses explorations à travers tout le monde connu (et inconnu), il a ramené de très nombreux journaux de voyages, publiés pour la plupart de son vivant (volumes I et II de la présente édition), qui montrent un esprit étonnamment soucieux de mesurer et de respecter les différences culturelles, de se méfier de ses propres projections et d’utiliser la rencontre de l’Autre pour se mettre à distance des préjugés partagés par sa propre tribu. De sa fréquentation de l’aristocratie européenne la plus huppée de son époque, il ramène une série de pièces de théâtres d’un genre malheureusement oublié (les « parades »), mais à redécouvrir, tant leur langue pseudo-populaire et leur burlesque irrévérencieux sont en phase (très décapante) avec les singeries dont nos hommes politiques (Cassandre démocrate) ou nos intellectuels médiatiques (Cassandre homme de lettres) continuent à alimenter nos petits écrans. De son travail d’historien, dans lequel il plaçait l’essentiel de ses espoirs de gloire posthume, mais qui représente aujourd’hui le pan le moins séduisant et le moins convaincant de son œuvre plurielle, il n’a laissé que des extraits (mis sous formes d’axiomes, de théorèmes et de corollaires (le théâtre, les recherches historiennes et les écrits politiques étant regroupés dans le volume III, tandis que le volume V donne la correspondance, quelques varia et les index).

    L’homme et l’œuvre paraissent donc marqués du sceau d’une même multiplicité éclatée, voire schizophrénique : on enfile la veste du patriote avant de la retourner en serviteur du Tsar ; on invente sur le terrain une sensibilité à la diversité culturelle tout en mettant au point des plans de colonisation ; on mène la vie de magnat (quoique sans le sou, surtout après un divorce douloureux) et on se moque de impostures de l’ordre social ; on essaie des géométriser l’Histoire tout en ridiculisant les prétentions excessives de la mathématisation. Cet infatigable sillonneur de planète est à lui seul un homme-univers, un condensé d’exigences hétérogènes en constant bouillonnement, un homme des Lumières habité à la fois par les espoirs les plus fous de la modernité et par les désillusions les plus ironiques, les plus ludiques et les plus désabusées que l’on croyait propres à notre postmodernité.

    Le Manuscrit trouvé à Saragosse : roman pré-postmoderne

    Ce qui devait réellement assurer sa célébrité posthume ne fut pas ses savantes chronologies historiques, mais un roman-fleuve qu’il a écrit en plusieurs phases de 1797 à sa mort, et qu’il considérait apparemment comme un divertissement léger destiné à amuser son entourage et à chasser les spectres de la dépression qui l’assaillirent dans la retraite forcée et dépitée où il passa les dernières de sa vie. De quoi s’agit-il dans ce romanii ? Des jumeaux naturels que Jean-François Lyotard, Guy Debord et un Ousama Ben Laden converti aux vertus du multiculturalisme auraient pu avoir ensemble en prenant la Statue de la Liberté pour mère porteuse. Cet improbable croisement de filiations ne saute certes pas au yeux à la lecture des dix premières journées, où l’on suit l’effarement d’un narrateur, Alphonse van Worden, qui ne cherchait qu’à traverser par le plus droit chemin la Sierra Morena pour aller de Cadix à Madrid, mais qui se trouve pris dans une souricière hallucinante, l’amenant de façon récurrente à se coucher auprès de deux ravissantes cousines musulmanes pour se réveiller sous un gibet au milieu de deux pendus. Une cinquantaine de journées plus tard, après avoir tourné en rond dans cette chaîne de montagnes à l’écoute de récits allant du Pérou à Jérusalem, et de Cléopâtre à Newton, les enjeux idéologiques de ce roman proprement affolant finissent par s’esquisser plus distinctement.

    Le cadre de l’histoire est en effet fourni par une conspiration islamiste, dirigée par un Scheik des Gomelez caché dans des grottes montagneuses, où se manigance une Révolution dans l’Islam visant à la monarchie universelle. Même s’ils finissent par utiliser quelques explosifs, ces islamistes, qu’on imagine barbus, se servent surtout d’une micro-société du spectacle, qu’ils montent dans le but de capter le sperme d’Alphonse van Worden ainsi que d’un duc Géomètre, Pèdre Velasquez. Sans dévoiler le dénouement de l’intrigue, on peut signaler que la complète réussite de la machination des Gomelez, du point de vue du spectacle mis en scène pour dérouter ses deux victimes, sera sanctionnée par la liquidation (très postmoderne) du projet théologico-politique qui devait l’insérer dans un grand récit historique : au lieu d’une conversion de la planète à l’intégrisme islamique, on n’a plus qu’une association improbable et parfaitement mondialisée de banquiers espagnols et de saltimbanques borgnes, de faux juifs et de prétendus Bohémiens, de Scheiks déprimés, de mousquetaires assagis et de géomètres amoureux.

    Au cours des 61 journées d’errance dans la Sierra Morena dont Alphonse laisse le récit rétrospectif, et à travers le labyrinthe des multiples niveaux narratifs imbriqués (qui vont parfois jusqu’à cinq), tous les genres littéraires de l’époque auront été sollicités pour fournir un fabuleux kaléidoscope des Lumières : roman gothique, récit libertin, dialogue philosophique, métafiction parodique, conte orientalisant, nouvelle édifiante, mais aussi arbre généalogique, table des matières d’encyclopédie, ou problème de mathématique le tout entrelacé d’innombrables jeux intertextuels allant du clin d’œil au pillage.

    Si cette somme romanesque parvient à rester constamment légère et distrayante, tout en participant d’une logique de saturation proprement affolante, c’est qu’elle est dominée par une posture ironiste anticipant de façon frappante le pragmatisme relativiste représenté de nos jours par un philosophe comme Richard Rortyiii. Alors que colloques, expositions, éditoriaux et essais populaires se complaisent aujourd’hui à ressasser les banalités les plus éculées sur « l’esprit des Lumières », le roman de Potocki trace une diagonale (tortueuse) qui prend à rebours les oppositions dominantes entre Lumières et anti-Lumières, moderne et postmoderne, raison et croyance, progressisme engagé et recul auto-parodique. À première vue, la mise en scène de revenants, de succubes, de diable séducteur, d’encyclopédistes suicidaires, d’hyper-rationalistes ridicules et d’idéalistes désillusionnés, tous manipulés par des fanatiques religieux au sein d’un univers tapi dans l’ombre de cavernes et de châteaux hantés tout cela semble participer de la « réaction », gothique et bientôt romantique, contre les espoirs naïfs des Lumières, visant l’avenir radieux d’un monde rendu transparent par la ratio mathématique et par l’intellection scientifique des causes. Comment un grand aristocrate européen aurait-il donc pu assister à la Révolution française et à ses « excès » sans se sentir obligé de dénoncer les fourvoiements des Encyclopédistes (matérialistes, athées), fourvoiements rendus désormais évidents par le comportement de leur descendance jacobine ? Comment ne pas couvrir d’ironie le rationalisme délirant de Lumières pratiquant la Terreur au nom de la liberté ?

    Toute cette dimension potentiellement « furetienne » du roman est pourtant systématiquement minée par une ironie également décapante envers les valeurs sur lesquelles se fondent les anti-Lumières. Le Manuscrit met bien en scène une conversion de l’athée repentant, ou un fils d’encyclopédiste vendant son âme au diable, mais cela s’inscrit au sein d’une machinerie narrative qui invite le lecteur à renverser toute valeur qui se targuerait de renverser les valeurs des Lumières. Ce labyrinthe est fait de sentiers qui bifurquent sans cesse de la dénonciation amusée à l’empathie indulgente. Comme celui de Rorty, l’ironiste potockien n’est jamais un cynique content de se replier sur son intérêt privé, mais un penseur exigent, conscient de la contingence de son vocabulaire final et soucieux de construire un tissu de solidarité active avec ceux qui l’entourent (Potocki parle de « bienfaisance »), par-dessus les différences de valeurs fondamentales qui peuvent les séparer. Comme l’illustre bien la troupe parfaitement hétérogène et totalement improbable de faux Bohémiens (mais de vrais contrebandiers) qui déplacent journellement leur camp au sein de la Sierra Morena, la société de demain devra s’inventer une solidarité ironiste si elle espère pouvoir prospérer et continuer à se raconter des histoires, dans les marges des frontières et dans les vacuoles ouvertes au sein de la loi des États-nations.

    La leçon centrale du Manuscrit, esquissée d’un trait subtil au sein de l’imbroglio narratif, pourrait bien élever à un seuil d’organisation supérieur l’enseignement central des Philosophes : à l’homme-machine de La Mettrie et de Diderot, Potocki surajoute la société-machine. Les Gomelez représentent moins un contenu (l’islam) qu’une forme d’action collective (la machination par le spectacle). Court-circuitant par avance les gesticulations d’un duel médiatique entre Lumières et anti-Lumières, Potocki déplace notre regard pour nous faire observer les feux de la rampe : son ironisme consiste à nous faire sentir tout acte, progressiste ou réactionnaire, comme relevant du geste, tout agent social comme tirant sa force principale de son jeu d’acteur. La société a la forme d’une machina, dont il ne faut attendre la sortie d’aucun deus transcendant, mais que font évoluer les agencements collectifs immanents, dans la mesure où ils savent s’approprier la logique propre du spectacleiv.

    Un Manuscrit introuvable

    Que ce grand roman du spectacle mettent en scène sa propre transmission en se faisant passer pour un « manuscrit trouvé » constitue sans doute le sommet de son ironie anticipatrice. Cette transmission a en effet connu des épisodes aussi romanesques, complexes et labyrinthiques que l’intrigue représentée dans la fiction. Résumons rapidement deux siècles d’errances dans l’histoire souterraine et caverneuse des officines d’imprimeurs et de libraires (figurés dans le roman lui-même par un nommé Moreno, traduction livresque de la Sierra Morena). De larges fragments du roman paraissent du vivant de Potocki, mais à de petits tirages, dont on ne sait souvent pas s’ils sont commandés par l’auteur pour une diffusion confidentielle à des amis ou s’ils constituent des éditions faites sans son accord. À sa mort, toute la fin du récit reste impubliée. Divers écrivains peu scrupuleux du xixe siècle pillent tel ou tel épisode pour en faire une nouvelle publiée sous leur nom. En 1847 paraît une traduction polonaise due à Edmond Chojecki, qui donne pour la première fois la macro-structure de l’œuvre entière. Un siècle plus tard, Roger Caillois exhume ce roman oublié en publiant sous le titre de Manuscrit trouvé à Saragosse une petite partie de l’ensemble, celle dont il est sûr de l’authenticité et il faut regretter que, jusqu’à ce jour, une collection aussi respectable qu’« Imaginaire » de Gallimard continue à entretenir la confusion entre un fragment et le livre entier.

    En 1989, José Corti crée l’événement en faisant paraître une version donnant pour la première fois au lecteur français l’ensemble de la macro-structure narrative : cet ouvrage vieux de deux siècles n’est donc devenu lisible que depuis moins de 20 ans. Cette édition (rééditée ultérieurement en Livre de Poche), qui a véritablement lancé les études potockiennes, faisait toutefois face à un problème éditorial très épineux : l’éditeur René Radrizzani, n’ayant pu mettre la main sur l’intégralité du texte original français, a dû se contenter, pour toute la fin du livre, de retraduire en français la traduction polonaise de Chojecki. Si l’on avait enfin accès à la macro-structure, c’était dans une texture infidèle aux mots de l’auteur. Le Manuscrit n’avait été trouvé à Saragosse que pour être perdu et introuvable deux siècles plus tard.

    La principale nouveauté de l’édition des Œuvres publiées chez Peeters par François Rosset et Dominique Triaire est de nous donner finalement accès aux mots que Potocki a vraiment écrits. Il n’y a donc que depuis quelques mois que le Manuscrit est restitué dans son état originel, et nous sommes les premiers lecteurs, après deux siècles de mutilations, à pouvoir lire ce chef d’œuvre tel que l’a rédigé Potocki. Mais, rien ne pouvant être platement univoque au sein d’un tel labyrinthe, cette découverte tardive ne satisfait notre attente d’authenticité autoriale que pour faire rebondir notre frustration herméneutique en posant un dilemme éditorial insoluble. Le Manuscrit trouvé à Saragosse s’est révélé être un manuscrit introuvable parce que ce Manuscrit-là n’existe pas ! Au lieu de trouver le Manuscrit dans sa langue originale, les éditeurs ont en fait découvert deux Manuscrits, de formes sensiblement différentes. Le premier, qui date de 1804, donne un texte continu des 45 premières journées, mais s’arrête brutalement au milieu d’un épisode inachevé ; le second, daté de 1810, donne pour sa part la macro-structure dans son ensemble, au sein d’un ensemble formé de 61 journées. Indépendamment du fait que l’une est achevée, mais l’autre pas, les deux versions différent sensiblement entre elles. Certains épisodes particulièrement riches et centraux pour la signification d’ensemble du roman ont été supprimés dans la version « complète » mais néanmoins « abrégée » de 1810 : en particulier les dizaines de pages consacrées au personnage du Juif errant (et à travers lui à des considérations sur la religion naturelle, sur la spéculation financière, sur la réécriture d’épisodes bibliques) se sont trouvé éliminées de cette version « finale ». Le principe de répartition des intrigues en journées diverge considérablement : 1804 est fondé sur les interruptions de récit (comme Jacques le fataliste) et mène en parallèle diverses narrations superposées, alors que 1810 tend à regrouper les masses narratives en blocs plus compacts. La tonalité d’écriture varie aussi d’une version à l’autre : 1804 est plus enjoué, exubérant, audacieux, irrévérencieux, alors que 1810 est moins libre, plus retenu, et globalement plus sombre.

    Faisant face à deux romans aussi différents, les éditeurs ont pris la sage décision de les publier tous les deux intégralement en deux volumes séparés (VI.1 pour la version complète de 1810 ; VI.2 pour celle, incomplète, mais littérairement plus virtuose, de 1804). Ils ont même poussé le scrupule jusqu’à ajouter un cdrom contenant les textes des différents manuscrits consultés pour composer leur édition (ainsi que des dessins de Potocki et d’autres documents divers). On ne peut que les en remercier — mais on ne peut pas non plus s’empêcher de pester contre ce mauvais coup du sort que nous fait Potocki en nous léguant deux romans au lieu d’un seul.

    Quand c’est l’éditeur qui invente le texte

    Loin de résoudre les problèmes éditoriaux, le travail assidu et apparemment définitif de François Rosset et Dominique Triaire ne fait que relancer ces problèmes. Il apparaît en effet que le roman édité dans le(s) volume(s) IV des Œuvres de Potocki n’existe pas ! Il n’existe pas comme un roman, mais comme une alternative entre deux romans. La question de savoir comment faire lire le Manuscrit (par exemple lorsque Potocki sera mis à l’agrégation de Lettres, ce qui ne saurait tarder sans faire honte à cette institution) semble en effet insoluble : chacune des deux versions n’apparaît que comme une mutilation de l’autre (par incomplétude structurelle ou par standardisation narrative et stylistique). Peu de lecteurs ayant le temps ou l’envie de lire deux versions d’un même roman pour en comparer stéréophoniquement les mérites respectifs, il faudra bien choisir de conseiller à nos amis, à nos étudiants, à nos lecteurs d’acheter tel ou tel volume. Il va de soi qu’il vaudra mieux lire le texte de Potocki tel qu’il l’a écrit lui-même (plutôt que tel que Radrizzani l’a retraduit à partir de la traduction de Chojecki) — et, en ce sens, il va également de soi que ce sera désormais l’édition Rosset-Triaire qui méritera de servir de référence aux études potockiennes.

    Reste que le cas particulier du Manuscrit à Saragosse permet d’entrevoir un problème éditorial et, plus largement, herméneutique qui dépasse de loin la nature double du roman imaginé par Potocki. Depuis l’époque romantique, que l’aristocrate polonais a précédée de quelques années, nous tenons pour évident qu’une œuvre doit avoir un auteur, ainsi qu’une essence, supposée être intemporelle. Le Manuscrit nous invite à une autre approche de l’œuvre littéraire : pourquoi ne pas estimer que Chojecki mérite d’être le co-auteur du Manuscrit aux côtés de Potocki ? À moins qu’on l’imagine avoir eu en mains une troisième version originale du Manuscrit intégrant le meilleur des deux versions de 1804 (pour les 45 premières journées) et de 1810 (pour les dernières journées), son travail a consisté précisément à suturer ces deux versions, à les réagencer localement, voire à rédiger lui-même certaines transitions pour assurer leur continuité. Relevons qu’il a fait ce travail avec un talent certain, qui ne trahit nullement la richesse du roman, mais qui au contraire permet d’en rassembler les aspects les plus admirables en un tout qui se trouve certes artificiellement (re)constitué, mais qui a l’avantage non négligeable d’être lisible comme un roman. Ne conviendrait-il pas dès lors de nous débarrasser de nos préjugés romantiques, et de considérer que la meilleure version du Manuscrit n’a jamais été écrite comme telle par Potocki, mais ne peut être actualisée que par une collaboration entre l’auteur, son traducteur polonais (recadreur de la macro-structure) et son éditeur français, qui devrait alors se fixer pour tâche de remplir avec le texte original de Potocki le cadre macro-structurel reconfiguré par Chojecki (quitte à garder quelques transitions traduites du polonais, dûment signalées comme telles) ?

    À y regarder d’un peu plus près, on verra facilement qu’une telle intervention de l’éditeur moderne — ici problématiquement évidente — est en fait plus ou moins présente dans le mode d’existence actuel de la plupart des textes littéraires que nous lisons. Tous les éditeurs modernes dignes de ce nom se demandent quelle est la « meilleure version » de l’ouvrage sur lequel ils travaillent : à chaque fois, c’est au nom d’une certaine idée qu’ils se font du texte qu’ils choisissent de s’en tenir à la première ou à la dernière version publiée, qu’ils ajoutent ou restituent tel chapitre postérieur ou supprimé, qu’ils signalent telle variante ou telle allusion de telle note savante. Tout texte d’auteur classique est un texte réinventé par un éditeur moderne.

    Au préjugé d’un auteur individualisé, responsable d’un acte créatif originel isolé dans une époque du passé, se substituerait la conception d’un processus créatif transindividuel, constamment redynamisé par les actes de lecture, d’interprétation et d’édition dont le texte fait l’objet. La « vie » d’une œuvre littéraire ne serait pas quelque chose qu’un auteur donnerait au monde, une fois pour toutes, en émettant une séquence de phrases, mais résulterait d’une interlocution toujours ouverte, à laquelle contribueraient de façon cruciale tous ceux qui, après coup, investissent dans cette séquence de phrases une partie de leur temps et de leur énergie, pour en actualiser non seulement le sens, mais également la forme et l’existence même. Merci donc à François Rosset et à Dominique Triaire d’avoir réinventé Potocki sous des traits aussi chatoyants — et d’avoir, plus que quiconque encore, contribué à donner existence à ce Manuscrit qui semble devoir rester, comme tout texte littéraire, éternellement à trouver.

    Publié sur Acta le 15 janvier 2008
    Notes :
    i La vie de Potocki, aussi mouvementée que son roman, et tissant avec lui un entrelacs fascinant d’allusions auto-ironiques, a été reconstituée par les mêmes François Rosset et Dominique Triaire dans Jean Potocki, Biographie, Paris, Flammarion, 2004.
    ii Une belle collection d’articles, comprenant une bibliographie critique quasi exhaustive pour les études potockiennes parues avant l’an 2000, a été publiée par les mêmes François Rosset et Dominique Triaire, De Varsovie à Saragosse : Jean Potocki et son oeuvre, Louvain et Paris, 2000. Parmi les publications ultérieures, il faut mentionner une collection indispensable d’articles centrés sur le seul Manuscrit, publiée par Jan Herman, Le Manuscrit trouvé à Saragosse et ses intertextes, Louvain, Peeters, 2001, le n° spécial Potocki de la revue Europe (863) paru en mars 2001, et l’ouvrage tout récent de Luc Fraisse, Potocki ou l’imaginaire de la création, Presses universitaires de la Sorbonne, 2006.
    iii Voir en particulier Richard Rorty, Contingence, ironie, solidarité, (1989), Paris, Armand Colin, 1993.
    iv Pour un développement de cette approche du Manuscrit, je me permets de renvoyer à mes articles « L’imprimerie des Lumières : filiations de philosophes dans le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki », à paraître dans Pierre Hartman (éd.), Les Images du Philosophe dans les romans du xviiie siècle, Presses de l’université de Strasbourg, 2007 et « Potocki and the Spectre of the Postmodern », Comparative Criticism, 24, 2002.
  • Catégories : La littérature

    Le jour des livres

    N

    ous sommes fin janvier, autant dire au plein coeur de la rentrée littéraire hivernale — rappelons les chiffres : quelque 550 romans, français et étrangers, parus ou à paraître en l'espace de six ou sept semaines —, mais parmi les ouvrages dont on parle et qui se vendent, celui qui se détache avec le plus d'évidence n'est en rien romanesque : il s'agit du Journal d'Hélène Berr (éd. Taillandier). Un livre capital, qui témoigne de ce que furent la France occupée et la persécution de la communauté juive, qui fait entendre une voix exceptionnelle de lucidité, de dignité, d'intelligence. Celle d'Hélène Berr, jeune femme d'une admirable sensibilité, qui, pour témoigner de ce qu'elle vivait, commença au début de l'année 1942 à tenir ce journal, interrompu deux ans plus tard lorsqu'elle fut déportée. Il est difficile de le lire sans penser à celui d'Anne Frank. Mais plus encore aux écrits, moins connus mais tout aussi importants, d'Etty Hillesum : Une vie bouleversée (éd. Seuil). Ce qui rapproche Hélène Berr, la Française, et Etty Hillesum, la Néerlandaise, mortes toutes deux à Auschwitz, c'est tout ensemble une exigence morale peu commune, et une gravité bouleversante, la prescience qu'elles ont toutes deux de la tragédie en cours et du fait qu'elles en seront les victimes. ◆ Na.C.

    Source:Télérama.fr

  • Catégories : La littérature

    1857. Bon millésime

    Jean-François Richer

    1857. Un état de l’imaginaire littéraire, revue Études françaises, numéro préparé par Geneviève Sicotte, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, vol. 43, no 2, 2007, 162 p.

    L’idée est accrocheuse et engage d’emblée le lecteur : parce que 1857 est « sans conteste un étonnant millésime » (p. 6) au cours duquel « s’exposent les grandes tensions qui structurent le champ littéraire au long du XIXe siècle » (p. 9), les articles réunis par Geneviève Sicotte se proposent de « faire l’exploration de l’imaginaire [que l’année 1857] met en jeu » (p. 7). Séduit par ce programme, le lecteur part de bon gré à la recherche de « cette entité organique de 1857 » (p. 8), il veut qu’on dirige son attention vers « le système générique, les esthétiques, la carrière des auteurs, les formes » (p. 8) et il se tarde de voir « émerger de ces analyses, en mosaïque, le tableau partiel, mais plausible de l’imaginaire littéraire de l’époque » (p. 8). Disons-le de suite : le lecteur, à l’arrivée, ne sera pas déçu, et cela malgré quelques petits écueils qui le feront d’abord voguer de Charybde en Scylla.

    C’est avec précaution qu’il devra ainsi naviguer, dans les premières pages, entre certains postulats de la « Présentations » (pp. 5-12) où s’entrechoquent des propositions qui apparaissent contradictoires ; lorsqu’il s’agit de saisir les discours sociaux d’une époque, on nous rappelle, par exemple, que « la simultanéité n’engendre pas nécessairement du sens » (p. 7) ; le paragraphe suivant dit pourtant, et sans détour, que « la coexistence génère du sens » (p. 8). Or comment la « simultanéité » diffère-t-elle de la « coexistence » ?

    Est-il juste, aussi, d’affirmer que la mort de Victor Hugo en 1885, ou encore celle d’Émile Zola en 1902, sont des « moments où, indépendamment de toute autre considération, le littéraire fait date » (p. 6) ? Sont-ce là des exemples purs de cette « hétéronomie des scansions politiques et littéraires » (p. 6) qui « s’accentue tout au long du siècle » (p. 6) ? Le décès d’un des plus célèbres pairs de France, le député à l’Assemblée législative qui fit le coup de feu sur les barricades de la rue Saint-Louis en juin 48, et celui de l’auteur de « J’accuse » ne furent-ils pas, au moins en partie, des événements proprement politiques ? Les cendres de ces deux « grands hommes » (dont la grandeur, justement, provient du fait qu’ils ont transcendé le littéraire pour toucher au politique) n’ont-elles pas été rapidement panthéonisées par « la patrie reconnaissante » ? La mort d’Honoré de Balzac le 18 août 1850 eut peut-être fourni, à cet égard, un meilleur exemple. À la page 19 de la revue, Stéphane Vachon rappelle justement à quel point la disparition de l’auteur de La Comédie humaine « fut pour la littérature une date, un événement » (p. 19)1.

    La « Présentation » (p. 5-12) décrit également 1857 comme étant, entre autre, « l’année du manifeste sur le réalisme de Champfleury » (p. 7). S’il est vrai que Champfleury fit paraître chez Michel Lévy un ouvrage intitulé Le Réalisme, est-il exact de qualifier cette publication de « manifeste » (et l’expression est reprise au verso de la revue et encore une fois à la page 10 où l’ouvrage de Champfleury est désigné cette fois comme un « recueil-manifeste ») ? Le Réalisme fut-il vraiment un « exposé théorique lançant un mouvement littéraire », selon une des définitions classiques de ce substantif, attestée dès 1828, et donnée par Le Petit Robert de la langue française dans son édition 2007 ? À notre connaissance, le mot « manifeste » ne figure pas dans Le Réalisme et Champfleury lui-même invite son lecteur à ne pas voir son volume comme « une bible, une charte, un codex »2 sur le réalisme. Plutôt que sous sa propre plume, c’est sous celle de Gustave Courbet que Champfleury a reconnu, en juin 55, les formes d’un « manifeste réaliste » ; décrivant à « Madame Sand » le scandale que cause dans tout Paris l’exposition que Courbet inaugure, au rond-point de l’Alma, avenue Montaigne, le 28 juin 1855 et le catalogue que Courbet avait assemblé pour l’occasion, vendu 10 centimes pièce, et qui comportait un avant-propos intitulé « Le Réalisme », l’auteur de Chien-Caillou s’extasie du fait que « non content de faire bâtir un atelier, d’y accrocher des toiles, le peintre a lancé un manifeste »3; plus loin, Champfleury donne même quelques-uns des « mots excellents » que Courbet a mis « dans son manifeste »4. Et s’il fallait chercher un manifeste réaliste, n’est-ce pas chez Edmond Duranty que nous le trouverions? Qu’on se rappelle simplement le ton revendicateur avec lequel il expose les dictats de l’esthétique réaliste, en décembre 1856 par exemple, dans le second numéro du Réalisme, une revue qu’il avait lui-même fondée et qui ne verra que six parutions entre juillet 56 et mai 57 ; Duranty rappelle à ses lecteurs : « Que le Réalisme proscrivait l’historique dans la peinture, dans la peinture et dans le théâtre afin qu’il ne s’y trouvât aucun mensonge, et que l’artiste ne pût pas emprunter son intelligence aux autres. Que le Réalisme ne voulait des artistes que l’étude de leur époque. Que dans cette étude de leur époque il leur demandait de ne rien déformer, mais de conserver à chaque chose son exacte proportion. »5 Le ton, on l’entend, est doctrinaire.

    Enfin, Le Réalisme de Champfleury pose une autre question quant à la pertinence de son invocation répétée dans les pages de cette réflexion consacrée à l’année 1857 : que reste-t-il, justement, de l’année 1857 dans cet ouvrage où l’auteur dit avoir « imprimé ce que j’ai pensé à diverses époques »6 ? De fait, le premier article intitulé « L’aventurier Challes » est daté de mai 1854, et la « Lettre à M. Ampère touchant la poésie populaire » est d’octobre 1853 ; le texte intitulé « Est-il bon ? Est-il méchant ? Lettre à Monsieur le Ministre d’État » date du 1er décembre 1856, et l’article sur « La littérature en Suisse » date, lui, du mois d’août 1853 ; enfin, l’avant-dernier texte du recueil, « Sur Monsieur Courbet. Lettre à Madame Sand », est de septembre 1855 (et avait d’ailleurs déjà paru dans l’édition du 2 septembre 1855 de L’Artiste, 5e série, Tome XVI, 1ère livraison, pp. 1-5.) tandis que le texte final, « Une vieille maîtresse. Lettre à M. Louis Veuillot » est de novembre 1856. L’approche synchronique, quoique fructueuse comme on le verra, n’est pas sans poser quelques problèmes de méthode7.

    Le voyage en 1857 continue ensuite de fort belle manière avec l’article de Stéphane Vachon dont on peut regretter, toutefois, le titre un peu trop neutre, trop générique, « Balzac entre 1856 et 1857 » (p.13-29), un intitulé qui n’annonce pas suffisamment la thèse originale développée dans ce texte. Après cinq pages d’éphémérides, des pages vivantes où l’auteur présente, en accéléré, le film de ceux qui meurent, qui naissent, qui vivent, qui se marient, qui votent ou qui sont poursuivis en justice cette année-là, Stéphane Vachon, informe le lecteur qu’il ne s’interdira pas de déborder l’année 1857 « sur chacune de ses franges » (p. 19) et que celle-ci « constitue un moment essentiel dans l’histoire de la critique balzacienne » (p. 19) car y « foisonnent [d]es études inédites sur Balzac » (p. 20). Une retiendra particulièrement son attention : « rien d’autre, en février 1858, que la grande étude de Taine sur Balzac » (p. 26). Analysant cette étude, Stéphane Vachon montre, bousculant plusieurs idées reçues, que ce qui est en jeu dans le champ discursif littéraire de l’époque, ce ne sont pas tant les célèbres querelles entre les réalistes et les romantiques car, « hormis Pinard, Champfleury et Montalembert, personne ne sait ce qu’est le réalisme, personne n’y croit, personne n’en veut » (p. 26), mais rien de moins que « le passage du romantisme au naturalisme » (p. 26). Taine, explique Stéphane Vachon, en « naturalis[ant] Balzac » (p. 26), en reprenant, avec lui, et à son compte, la notion de « milieu » tout en s’efforçant de « saisir Balzac dans toutes ses dimensions et dans sa complexité » (p. 27), aurait créé un quelque chose comme un modèle de production littéraire, une nouvelle façon « d’expliquer les œuvres par les faits historiques et physiologiques » (p. 28), une matrice esthétique qui aura sur le jeune Zola qui, on le sait, rencontrera Taine chez Hachette, « une importance déterminante » (p. 28). Et l’auteur de conclure que cette transmission de savoirs entre Balzac et Zola, médiatisée par Taine, ce télescopage dialogique, Zola lisant Taine lisant Balzac, « invite à penser directement, autour de 1857, le […] passage […] d’une poétique de la réalité à une autre » (p. 29). On verrait bien cet article figurer, comme un contrepoint essentiel, dans plusieurs manuels d’histoire littéraire.

    Dans un article intitulé « Le Réalisme de Champfleury ou la distinction des œuvres » (p. 31-43), Isabelle Daunais explique que l’auteur des Bourgeois de Molinchart, cherchant à définir « la singularité des œuvres du réalisme » (p. 33), s’est trouvé rapidement confronté à une question fondamentale : « comment discerner ce qui est une œuvre d’art de ce qui ne l’est pas ? » (p. 33) Plus encore, Isabelle Daunais s’attache à comparer les réponses avancées par Champfleury à celles proposées à la même époque par son illustre contemporain, Gustave Flaubert, qui lui aussi tentait alors de « comprendre ce que devient l’art lorsque l’artiste ne peut plus se justifier d’aucun lien avec son objet, sinon celui de la stricte observation » (p. 39). Isabelle Daunais explique que les arguments que Champfleury emploie pour identifier les tenants et les aboutissants de l’esthétique réaliste, dessinant une « vision idyllique de l’artiste » (p. 36), révèlent, au fond, son refus net de croire que l’art puisse côtoyer de si près ce qui n’est pas de l’art, « cette possibilité ouverte par le monde nouveau qu’est la dérision » (p. 40) ; en cela, Champfleury s’oppose diamétralement à Flaubert qui, « on le sait, fait de la ténuité de cette frontière l’un des paris de l’art » (p. 41), gageant d’abord que « la force du style sauvera son œuvre de l’insignifiance » (p. 41). Quoi que dise le titre de cette seconde contribution, c’est bien de la fulgurante nouveauté du réalisme flaubertien dont il est ici vraiment question ; écoutons la belle finale de cet article : « Pour l’auteur du Réalisme, 1857 ne pouvait être qu’une fin, pour celui de Madame Bovary, c’était un commencement » (p. 43).

    Dans la troisième contribution, intitulée « Flaubert et la question des genres » (p. 45-58), Geneviève Sicotte montre habilement comment Flaubert a mis « systématiquement en cause les paramètres génériques de son temps » (p. 46). Si « 1857 est véritablement l’année de Madame Bovary » (p. 48), il ne faut oublier, nous dit l’auteur, que Flaubert a aussi cette, même année « un autre fer au feu » (p. 48), soit la deuxième version de La Tentation de Saint-Antoine dont des extraits seront publiés dans L’Artiste. Le fait que deux textes aussi différents « adviennent à l’existence de manière simultanée […] confère à la production de Flaubert en cette année 1857 une singulière complexité » (p.49). Avec la publication de Madame Bovary, qui place — et magistralement ­­—, dans le champ littéraire de l’époque le genre romanesque « là où on l’attend[ait] pas » (p. 51), et celle de La Tentation de Saint-Antoine, ce texte à la « forme bâtarde » (p. 53), « hybride entre le roman et le théâtre » (p. 54), Flaubert conquiert le champ littéraire non pas en produisant de grands textes dans les formes hautement légitimées en 1857 (et l’auteur avance l’exemple du roman historique ou du roman feuilleton, p. 52, ceux, aussi, du vaudeville et du mélodrame, p. 54), mais en investissant des zones marginales du champ de production, soit les avant-gardes, « plus souples et dynamiques » (p. 56). Grâce à ce « repositionnement des genres » (p. 56), Flaubert parvient à la gloire littéraire comme « par le bas » (p. 56), en entrant par « la petite porte » (p. 56).

    Dans « Le Journal des Goncourt en 1857 : le règne paradoxal de la Bohème » (p. 59-72), Anthony Glinoer demande aux frères Goncourt une « contre-expertise » (p. 63) aux analyses du phénomène socio-littéraire de la bohème faites « a posteriori » (p. 63) comme le dit l’auteur lui-même par Pierre Bourdieu d’abord dans Les règles de l’art, puis par Nathalie Heinich dans L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique. L’auteur montre que les Goncourt ont proprement fustigé la bohème, qu’ils associent à une « gigantesque maison close » (p. 66) produisant une « littérature qui ne se montre pas digne d’elle-même » (p. 67). Les Goncourt répondront sur le plan littéraire à ce phénomène par « une pièce à faire, Les Hommes de lettres » (p. 68) et par la mise en place d’une « contre-sociabilité » (p. 69) ; ils « investissent le Café Riche » (p. 69) et forment un « cénacle » (p. 69), autant de geste, explique Anthony Glinoer, pour « élever ce que les Goncourt nomment le “capital littérateur” » (p. 67). La bohème forme donc le « camp adverse » (p. 70) et en cela, elle n’est pas « comme le déduisait Bourdieu, une matrice, mais un obstacle, ou encore un repoussoir pour les hommes de lettres » (p. 70). L’analyse des représentations de la bohème dans le Journal des Goncourt amène l’auteur à conclure que celle-ci est « l’objet d’une pluralité de discours » (p. 71) qui luttent pour « l’imposition d’une définition légitime » (p. 71) s’écartant en cela des analyses de Nathalie Heinich qui « font valoir que les représentations de la bohème […] sont multiples et que cette multiplicité est productive » (p. 71).  

    Jean-Pierre Bertrand, dans « La Poétique du fil : Odes funambulesques de Théodore de Banville » (p. 73-83), veut souligner la contribution de Banville à l’histoire de la poésie en cette année 1857. À cet égard, le mérite des Odes funambulesques, et celui de sa « préface-manifeste » (p. 77), fut de « transposer les techniques de la caricature dans le langage poétique » (p. 77) ce qui aura pour effet de « mettre en place un dispositif de pur langage qui conjure toute compromission avec le réel » (p. 77). Plus encore, Jean-Pierre Bertrand affirme que Banville, dans ce recueil, « invente la poésie jetable » (p. 83), une poésie moderne en ce qu’elle fait de sa situation de crise — son « nécessaire caractère éphémère » (p. 83) —, le matériau même qui la constitue. Banville touche donc ici à Flaubert, qui lui aussi approcha une forme littéraire, le roman, comme une chose qui n’allait pas de soi. Et c’est dans ces croisements inattendus que se révèle toute la qualité de ce numéro d’Études françaises qui invite à penser ensemble Banville, Flaubert, Taine, Champfleury, Zola et Balzac, à les prendre à la même époque — on a envie de dire au même coin de rue —, pour mieux entendre ce qu’il y avait de profondément harmonique dans leurs paroles imprimées.

    Dans un article intitulé « Traduction négative et traduction littérale : les traducteurs de Poe en 1857 » (p. 85-98), Benoît Léger rappelle d’abord que Baudelaire ne fut pas le « seul agent de diffusion de Poe en France » (p. 89) puisqu’avant que ne paraissent les Histoires extraordinaires, on recense « au moins dix-sept traductions » (p. 90) différentes des contes du grand écrivain américain. Benoît Léger se propose ensuite de confronter les « premières lignes de […] trois nouvelles traduites à la fois par Hughes et Baudelaire » (p. 91). L’exercice, fort intéressant, révèlera que Hughes « s’inscrit dans une tradition classique de rationalisation, d’étoffement et de paraphrase » (p. 96) qui édulcore les textes de Poe tandis que les traductions de Baudelaire, plus « littéralistes » (p. 97) agissent davantage comme des « révélateur[s] » (p. 98) capables de transmettre au lecteur la « nature profonde » (p. 98) de ces Histoires extraordinaires.

    Un article signé Micheline Cambron et intitulé « Pédagogie et mondanité. Autour d’une dictée… » (p. 99-110), clôt la partie thématique de la revue. L’objet du texte de Micheline Cambron est la célèbre dictée que Prosper Mérimée composa et fit passer à la cour, en 1857, suivant, selon la légende, une commande de l’impératrice (qui aurait d’ailleurs « fait 62 fautes et Napoléon III, 75 », p. 99). L’argumentation se développe en trois temps : le premier propose une rapide histoire de la dictée en France et cherche particulièrement à replacer cet exercice dans le contexte de la « pédagogie naissante » (p. 102) de l’époque. Le second mouvement du texte déplace l’analyse du côté du discours social québécois ; le corpus analysé est le millésime 1857 du Journal de l’Instruction publique. En substance on apprend que le « discours sur l’école » (p. 106) a une puissante « force d’attraction […] qui entraîne dans son mouvement quantité d’autres types de discours » (p. 106) et que, en somme, tout le discours social peut potentiellement devenir « une machine à instruire » (p. 106). Le lecteur appréciera particulièrement la troisième partie de cet article. Dans un commentaire composé finement mené, l’auteure analyse ligne par ligne la dictée de Mérimée. L’analyse révèle tout le savoir historique, géographique, sociologique et littéraire à l’œuvre dans les trois paragraphes de Mérimée ; au-delà des questions d’orthographe et d’épellation, ce texte parle surtout « de pouvoir — celui de l’église l’emporte sur les valeurs bourgeoises » (p. 110), et « d’argent » (p. 110). Non, une dictée n’est jamais sociologiquement neutre.

    Il y aurait encore tant de points de l’année 1857 à explorer, se dit-on, au sortir de cet ouvrage (le discours philosophique, le théâtre, la presse, notamment) ; on voudrait aussi explorer davantage un des conflits majeurs qui traversent le champ littéraire de cette année-là et qu’on entend gronder en arrière-plan dans la plupart des articles rassemblés ici par Geneviève Sicotte : la lutte pour la légitimité littéraire qui oppose le vers à la prose ; entre Flaubert qui prépare Madame Bovary en jurant contre cette « chienne de chose que la prose » et à laquelle il veut donner « la consistance du vers »8, Champfleury qui défend le « prosaïsme » mais étudie aussi « la poésie populaire », et Baudelaire qui travaillait, dès 55, à des textes qu’il joindra plus tard à ses Petits poèmes en prose, cette opposition est structurante dans le discours de l’époque. Aussi le lecteur appellera de ses vœux une suite prochaine à ce très bon numéro d’Études françaises (un second numéro ? un colloque ?).

    En plus de la partie thématique consacrée à l’année 1857, le lecteur trouvera deux autres articles dans une section intitulée « Exercices de lecture ».

    Le premier, signé par Frédérique Arroyas, intitulé « Les Variations Goldberg de Nancy Huston ou la désacralisation de l’œuvre musicale » (p. 113-135), veut montrer comment ce roman polyphonique de Nancy Huston récuse de part en part « une conception de la musique comme art sublime et désincarné » (p. 135). C’est avec tout le corps que s’écoute la musique de Jean-Sébastien Bach.

    Le second texte, signé par Antoine P. Boisclair et intitulé « Présence et absence du portrait à l’École littéraire de Montréal. Les exemples de Charles Gill et d’Émile Nelligan » (p. 137-151), s’attachent à montrer « qu’en s’intéressant à peinture, Gill et Nelligan [ont ouvert] la voie au poème-paysage » (p. 150), et ont favorisé la venue, dans les beaux-arts québécois de « l’esprit de composition propre aux poétiques du paysage » (p. 150).

    Publié sur Acta le 21 janvier 2008
    Notes :
    1 Stéphane Vachon développe plus à fond cette idée que « la mort d’Honoré de Balzac fut, pour la littérature autant que pour son histoire, un événement, une date » dans un ouvrage publié récemment et intitulé 1850. Tombeau d’Honoré de Balzac (Montréal, collection « documents », XYZ Éditeurs, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2007) ;  la citation précédente est à la page 14.
    2 CHAMPFLEURY : Le Réalisme, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1857, p. 21.
    3 CHAMPFLEURY : L’Artiste, 5e série, Tome XVI, 1ère livraison, 2 septembre 1855, p. 1.
    4 Ibid., p. 2.
    5 DURANTY, Edmond : Le Réalisme, Paris, vol. I, no 2, décembre 1856, cité par Pierre Chartier, Introduction aux grandes théories du roman, Bordas, 1990, pp. 94-95.
    6 CHAMPFLEURY : Le Réalisme, Michel Lévy Frères, Libraires-Éditeurs, Paris, 1857, p. 21.
    7 Des problèmes, ou des inconforts méthodologiques disons, ressentis par plusieurs collaborateurs : Stéphane Vachon (« Balzac entre 1856 et 1857 », pp.13-29), pour poser son analyse, doit « déborder [1857] sur chacune de ses franges (avril 1856 – mars 1858) » (p. 19), Jean-Pierre Bertrand (« La Poétique du fil : Odes funambulesques de Théodore de Banville », pp. 73-83) se demande « Pourquoi 1857 et pas 1875 ou 1856 ou 1858 ? » (p. 73) et Benoît Leger (« Traduction négative et traduction littérale : les traducteurs de Poe en 1857 », pp. 85-98) avance d’entrée de jeu que « 1857 ne constitue pas une année charnière en matière de traduction » (p. 85).   
    8 FLAUBERT, Gustave : Correspondance, éd. établie, présentée et annotée par Jean Bruneau, « Pléïade », Gallimard, t. 2, 1991 ; lettre à Louise Collet, 19 juillet 1852.
  • Catégories : La littérature

    Colloque Les Salons de Diderot.

    Du 24 janvier 2008 au 26 janvier 2008

    _blank

    (Autour du programme d'agrégation 2008)

     

    Colloque « Diderot, Salons »


    Université de Toulouse-Le Mirail
    24-26 janvier 2008
    Maison de la recherche, salle D31

    Responsables scientifiques :
    Stéphane Lojkine, université de Toulouse-Le Mirail
    Franziska Sick, université de Kassel

    partir de 1759, Diderot a été chargé par Grimm, le directeur de la Correspondance littéraire, de rédiger les comptes rendus des expositions de peinture, de gravure et de sculpture que l’Académie royale organisait tous les deux ans au Salon carré du Louvre. Ces comptes rendus, qui constituent, en 1765 et 1767 notamment, de gros volumes, ont été appelés Salons, du nom du lieu des expositions.


    Réhabiliter les Salons de Diderot
    Alors que les Salons de Diderot ont fait l’objet de travaux importants aux Etats-Unis ces dernières années (Michael Fried, Thomas Crow, Bernadette Lefort), le travail fondamental d’édition des textes effectué en France (Michel Delon, Annette Lorenceau, Else-Marie Bukdahl) n’a encore été que timidement suivi de la réflexion critique et théorique, nécessairement interdisciplinaire, qu’exige une œuvre au statut aussi indéfinissable. L’écriture des Salons a été trop longtemps considérée comme un passage à vide dans la carrière de Diderot, entre l’Encyclopédie et les dialogues philosophiques, et le texte était réputé n’avoir d’intérêt que comme document pour les historiens de l’art, où glaner des realia, ou comme une sorte de brouillon préparatoire où l’on repérait les prémisses des futures grandes pages du Rêve de D’Alembert et du Paradoxe sur le comédien.


    L’expérience diderotienne de l’image
    Les progrès dans la connaissance et l’établissement des textes qu’apporte l’édition Hermann, l’immense travail d’identification des peintures commentées par Diderot commencé par Else-Marie Bukdahl, complété dans le cadre d’Utpictura18, permettent aujourd’hui d’aborder les Salons avec des outils de travail inconnus jusqu’ici. Le regain d’intérêt que connaissent ces textes est lié d’autre part à l’écho qu’ils font, depuis le dix-huitième siècle, au changement de civilisation que nous connaissons aujourd’hui : passant d’une civilisation du texte à une civilisation de l’image, nous redécouvrons avec surprise et fascination cette expérience diderotienne de l’image, par laquelle le philosophe des Lumières avait en quelque sorte anticipé la révolution médiologique contemporaine. Peut-être aussi ne pouvons-nous comprendre qu’aujourd’hui la nature et les enjeux réels de cette expérience et mettre en évidence combien ces Salons longtemps jugés documentaires et périphériques constituent un tournant décisif dans l’œuvre et dans la pensée du Philosophe.


    Modéliser la représentation
    A cause de la réflexion qu’ils nourrisent sur le rapport entre pictura et poesis, entre le technique (qui relève du métier du peintre) et l’idéal (dont la fabrication est commune aux génies du peintre et du poète), les Salons de Diderot n’intéressent pas seulement le public restreint des dix-huitiémistes érudits. Ils mettent en question plus généralement ce qu’il en est du processus même de la représentation, qu’elle soit textuelle ou iconique. Ils s’interrogent, avec la notion de modèle idéal, sur la possibilité d’une modélisation non rhétorique de la représentation, conçue non plus comme le déroulement d’une histoire, mais comme la mise en œuvre d’un dispositif.


    Le problème du genre
    Cette conception nouvelle de la représentation ne s’applique pas seulement aux œuvres que Diderot commente. Elle informe le texte même des Salons, son organisation, sa disposition, sa signification : tributaire de l’ordre des tableaux dans le livret de l’exposition, ce texte décousu, digressif, inégal ne serait-ce qu’à cause de l’inégale valeur artistique des œuvres dont il traite, se dérobe à l’analyse tant structurale que narratologique. Sur le plan générique, il se présente comme une série de lettres à Grimm, où celui-ci d’ailleurs intercale ses commentaires. Diderot parfois anticipe cet échange en mettant lui-même, d’avance, Grimm en scène, et de là d’autres personnages. Il se fait également l’écho des commentaires entendus dans la foule des visiteurs du Salon. La lettre devient alors polyphonie dialogique.


    Mais décrire un tableau pour un lecteur qui ne le verra qu’au travers de la description renvoie également à un exercice rhétorique fort ancien, l’ekphrasis, qui est un genre de l’éloge, peu compatible avec la dissension dialogique. Enfin, la critique souvent acerbe qu’exige la pratique journalistique introduit une troisième contrainte générique, de sorte que le texte doit sans cesse être lu selon ces différents niveaux de performance et de compétence.


    Vision / Fiction : le programme franco-allemand
    C’est cette complexité des genres que convoquent et que superposent les Salons qui en fait un terrain d’étude privilégié du rapport entre vision et fiction, le sujet du programme franco-allemand dont ce colloque constitue le premier volet. Diderot nous rapporte ce qu’il voit, ou croit voir, ou aurait voulu voir : « On voit », « voyez », « voilà » sont les formules récurrentes de ce texte qui enchaîne visions sur visions, celles des tableaux réels, et celles des tableaux idéaux que, bien souvent, Diderot voudrait leur substituer. La vision est l’instrument à la fois du dialogisme (le tableau imaginé contre le tableau vu), de l’ekphrasis (donner à voir un tableau) et de la critique journalistique (voir pour juger, voir pour évaluer). Elle devient de plus en plus consciente d’elle-même au fur et à mesure qu’on avance dans les Salons, jusqu’aux deux morceaux de bravoure que sont « l’Antre de Platon » en 1765 (la vision du Corésus et Callirhoé de Fragonard), et la Promenade Vernet (la vision en pleine nature des Vernet du Salon de 1767).


    Lorsque la vision se déploie dans ces trois dimensions, elle ne peut plus être réduite à l’enchaînement des commentaires de tableau, à une rhétorique de la liste : la vision devient dispositif textuel et construit toute une fiction pour la soutenir. Cette fiction dépasse le seul cadre des deux textes phares consacrés à Fragonard et à Vernet : Diderot se plaît à raconter mille anecdotes ; « faire un conte » devient la ressource du poète face à la peinture médiocre ou au sujet stérile. La fiction fournit alors une vision alternative, en supplément.

     


    Programme


    Jeudi 24 janvier 2008
    8h30 : Accueil des participants. Inscription au colloque.
    9h00 : Ouverture du colloque

    Ressemblance et portrait
    9h30 :
    Martin SCHIEDER, Freie Universität de Berlin
    Le mérite de ressembler est passager : Diderot et le Portrait

    10h10 :
    Anthony WALL, université de Calgary
    Diderot et quelques-unes de ses têtes curieuses

    10h50 : Pause

    11h10 :
    Roland GALLE, université d’Essen
    Diderot et le portrait : une nouvelle mise en scène de la « ressemblance »

    11h50 :
    Odile RICHARD-PAUCHET, université Paul Sabatier - Toulouse 3
    Nature et vérité dans les Salons de Diderot : La passion de la ressemblance.

    12h30 : Déjeûner
    Théorie esthétique
    14h30 :
    Carole TALON-HUGON, université de Nice-Sophia Antipolis
    Iconicité et picturalité : effets et finalités de la peinture

    15h10 :
    Pierre CHARTIER, université de Paris VII-Denis Diderot
    Structure du modèle idéal : le préambule du Salon de 1767

    15h50 : Pause

    La question du sublime
    16h10
    Jean-Pierre DUBOST, université de Clermont-Ferrand
    Combien de sublimes dans les Salons ?

    16h50
    Helmut PFEIFFER, université Humbolt de Berlin
    Diderot et l'esthétique du sublime

    18h30 : Rencontre et débat sur L’Œil révolté à la librairie Ombres Blanches, 48-50 rue Gambetta, ou 5-7 rue des Gestes, métro Capitole.

    20h : Repas au restaurant Au Gascon, 9, rue des Jacobins.


    Vendredi 25 janvier 2008
    L’écriture des Salons
    8h30
    Jens HÄSELER, Centre européen des Lumières à Potsdam
    L’écriture des Salons – tensions entre journalisme et fiction littéraire

    9h10
    Geneviève CAMMAGRE, université de Toulouse-Le Mirail
    Grimm une voix dissonante? Les commentaires de Grimm aux Salons de 1761, 1763, 1765

    9h50 :
    Annette GRACZYK, Centre de recherche sur les Lumières en Europe, Halle
    Du hiéroglyphe au tableau: Diderot théoricien et critique d'art

    10h30 : Pause

    10h50
    Christina VOGEL, université de Zürich
    La pluralité des regards dans la critique et l’écriture des Salons

    11h30
    Pierre PIRET, université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve
    L’écriture des Salons ou comment produire un savoir sans devenir un maître

    12h40 Déjeûner

    Fiction / Vision
    14h30 :
    Christof SCHÖCH, université de Kassel
    Un type de picturalité textuelle dans la fiction romanesque et les Salons de Diderot

    15h10 :
    Stéphane LOJKINE, université de Toulouse-Le Mirail
    « si nous continuions à faire des contes ? » Dérapage de la vision et supplément fictionnel dans les Salons

    15h50 : Pause

    16h10
    Franziska SICK, université de Kassel
    Paysages et portraits visionnaires dans les Salons de Diderot

    16h50
    Bruno Nassim ABOUDRAR, université de Paris III-Sorbonne nouvelle
    Effets de cadre et de cadrage

    20h00 : Dîner en ville


    Samedi 26 janvier 2008
    Perception et savoirs faire
    9h00
    Marian HOBSON, Queen Mary, University of London
    « Faire que tout perde ou gagne proportionnellement » : Diderot et la proportion

    9h40
    Peter BEXTE, Institut d’études en communication, FH de Potsdam
    Le paradoxe de la perception. Au Salon avec des lunettes

    10h20 : Pause

    10h40
    Benoît TANE, université de Toulouse-Le Mirail
    La gravure dans les Salons : un art « en creux » ?

    11h20
    Guido REUTER, université Heinrich-Heine de Düsseldorf
    « Vous revoilà donc, grand magicien que vous êtes …. » Les pensées de Diderot sur l’art et la nature dans les tableaux de Jean Siméon Chardin

    12h Déjeuner


    Informations pratiques, contact, présentations des communications sur Utpictura18 :
    http://galatea.univ-tlse2.fr/pictura/UtpicturaServeur/ColloqueDiderot.php

     

    Responsable : S. Lojkine
    http://www.fabula.org/actualites/article21404.php
  • Catégories : La littérature

    1848 : des écrivains sur les barricades

    Le cabinet de travail de Lamartine (détail)

    af94c0cc4a787c14fd973020fd2f8f88.jpgJ’ai entendu dire aux pauvres : travaillez ! Je n’ai pas vu que cela leur donnât de l’ouvrage quand il n’y en a pas. Plus la propriété est divisée autour de nous, c’est-à-dire plus il y a de gens un peu aisés, plus ceux qui n’ont rien deviennent inutiles, et, on a beau dire, je vois bien que c’est toujours le plus grand nombre. […] Voilà donc où nous en sommes réduits ; c’est à demander ce que nous allons devenir, à des gens qui ne veulent pas nous répondre, et qui trouvent même insolent que nous osions leur faire cette question-là."
    Lettre d’un paysan de la Vallée noire, publiée en octobre 1844 par L’Éclaireur de l’Indre, journal créé par Sand en 1843. Citée par Jean-Denys Phillipe dans Traits pour traits.

    Encore une révolution qui amène un régime impérial ! Après 1789, le premier Empire. Après 1848, le second…

    Et une révolution qui met les écrivains au premier rang : on y voit un Lamartine enfanter la République contre les royalistes et les socialistes ; une George Sand plus socialiste que les socialistes ; Tocqueville, Quinet, Lamennais et Hugo sont élus députés (mais pas Vigny).
    D’autres sont aussi présents, mais plus discrets : Baudelaire [1], fusil à la main le 24 février au carrefour de Buci, essaie d’entraîner quelques hommes dans une expédition punitive contre son beau-père honni, le général Aupick… Son bref élan révolutionnaire lui donnera le temps de créer un journal qui vivra deux numéros…

    "J’ai la haine de la propriété territoriale. Je m’attache tout au plus à la maison et au jardin. Le champ, la plaine, la bruyère, tout ce qui est plat m’assomme, surtout quand ce plat m’appartient, quand je me dis que c’est à moi, que je suis forcée de l’avoir, de le garder, de le faire entourer d’épines et d’en faire sortir le troupeau du pauvre, sous peine d’être pauvre à mon tour […]."
    George Sand, citée par André Maurois, Lélia ou la vie de George Sand.
    Flaubert débarque dans la capitale le 23 février, s’engage dans la garde nationale le lendemain et court les rues avec Maxime du Camp (la conduite de ce dernier, blessé en juin 1848, lui vaudra la désapprobation de Flaubert et la Légion d’honneur), assistant horrifié à la mise à sac du palais des Tuileries et photographiant en esprit des scènes qui feront l’arrière-plan de L’Éducation sentimentale ; Sainte-Beuve se cache – toute cette violence l’effraie ; Dumas est dans la rue, comme dix-huit ans auparavant ; Chateaubriand, c’en est trop, décède le 4 juillet ; Ponson du Terrail est un garde national opposé aux révolutionnaires, etc.
    Jules Verne, lui, arrive après la bataille : en juillet, pour passer des examens de droit. Il observe alors sur les façades les traces des balles et des boulets, en spectateur désabusé et pas vraiment enthousiaste.
    L’humanité qui souffre, ce n’est pas nous, les hommes de lettres ; ce n’est pas moi, qui ne connais (malheureusement pour moi peut-être) ni la faim ni la misère ; ce n’est pas même vous, mon cher poète, qui trouverez dans votre gloire et dans la reconnaissance de vos frères une haute récompense de vos maux personnels ; c’est le peuple, le peuple ignorant, le peuple abandonné, plein de fougueuses passions qu’on excite dans le mauvais sens, ou qu’on refoule, sans respect de cette force que Dieu ne lui a pourtant pas donnée pour rien. George Sand, correspondance, 23 juin 1842.

    La révolution de février 1848 naît d’une grande lassitude, d’un banquet interdit et de coups de feu sur le boulevard des Capucines. Celle de juin 1848, par contre, même si elle ne dure que quatre jours, est un terrible déchargement de colère.

    En 1830, les républicains avaient encore trop frais à l’esprit les excès sanglants de la première République (1792-1804) et préférèrent un Louis-Philippe à une seconde expérience démocratique. En février 1848, ils s’y lancent à la dernière minute, et seulement pour quelques mois, les élections d’avril 1848 – premières élections au suffrage universel direct en France – ramenant à la Chambre une majorité conservatrice qui va paver la voie à l’Empire.

    1847 lance la vogue des « banquets républicains » qui tentent de rompre la grisaille du règne de Louis-Philippe [2]. La situation économique n’est pas florissante et Guizot, chef du gouvernement, se refuse à toute réforme. Le 22 février 1848, un défilé de la Madeleine à Chaillot et un grand banquet doivent clore la série des soixante-dix banquets qui ont eu lieu partout en France. Cette manifestation est interdite par le pouvoir, mais Lamartine déclare qu’il s’y rendra tout de même. Ledru-Rollin, leader républicain et grand animateur de ces banquets, et Louis Blanc, leader socialiste, craignent l’affrontement et se désistent la veille au soir. Mais il est trop tard pour annuler l’événement.

    Des étudiants et des ouvriers se retrouvent donc devant l’église de la Madeleine, sous la pluie, le matin du 22. Un défilé se forme, qui décide de se rendre à la Chambre des députés. Des accrochages se produisent sur les boulevards, au Châtelet, aux Champs-Élysées. Quelques barricades s’élèvent mais la ville reste calme.
    Le 23, le gouvernement déploie l’armée et la garde nationale, qui s’opposera peu aux insurgés. Composée de bourgeois plutôt hostiles au pouvoir, qui n’ont pas le droit de vote, elle penche davantage du côté des républicains modérés.
    Prenant acte du mécontentement populaire manifesté la veille, le roi renvoie Guizot et le remplace par le comte Molé. La foule redescend dans la rue, cette fois pour manifester sa joie. Mais un coup de feu tiré le soir boulevard des Capucines par un soldat déclenche une panique qui fait plusieurs morts.

    "On ne peut ni ne doit admettre la justice des lois qui régissent aujourd’hui la propriété. Je ne crois pas qu’elles puissent être anéanties d’une manière durable et utile par un bouleversement subit et violent. Il est assez démontré que le partage des biens constituerait un état de lutte effroyable et sans issue, si ce n’est l’établissement d’une nouvelle caste de gros propriétaires dévorant les petits, ou une stagnation d’égoïsmes complètement barbares. Ma raison ne peut admettre autre chose qu’une série de modifications successives amenant les hommes, sans contrainte et par la démonstration de leurs propres intérêts, à une solidarité générale dont la forme absolue est encore impossible à définir. […] C’est tout simple : l’homme ne peut que proposer ; c’est l’avenir qui dispose."
    George Sand, Histoire de ma vie.

    Aussitôt, de nouvelles barricades s’élèvent. Il y en aura jusqu’à 1500. Dumas, qui participe depuis 1847 à la campagne des banquets et a assisté à l’hécatombe des Capucines, court revêtir son uniforme de commandant de la garde nationale. Il encourage les manifestants à marcher à nouveau sur le ministère des Affaires étrangères où réside Guizot (situé sur le boulevard des Capucines, entre la rue des Capucines et l’avenue de l’Opéra).

    Louis-Philippe demande au maréchal Bugeaud de mater la rébellion. Au milieu de la journée du 24, une foule s’empare de l’Hôtel de Ville, encouragée par des sociétés secrètes révolutionnaires davantage que par les chefs socialistes (Blanqui et Barbès sont emprisonnés depuis leur tentative d’insurrection en 1839).

    "Les Parisiens ne font jamais de révolution en hiver." Le roi Louis-Philippe, lors des premiers incidents de février 1848.

    Devant le tour que prennent les choses et se souvenant des événements qui, dix-huit ans plus tôt, l’ont porté au pouvoir, le roi abdique en début d’après-midi en faveur de son petit-fils. Mais Lamartine le prend de court. Resté à son domicile du 82 rue de l’Université depuis le 22, il se rend à la Chambre lorsque Louis-Philippe se démet. Député depuis 1833, favorable à la régence en 1842, Lamartine s’interroge, et les députés avec lui : la France est-elle mûre pour la République ? Pour barrer la voie aux socialistes et aux « rouges », il décide de se prononcer avec éclat contre la régence de la duchesse d’Orléans (qui serait à ses yeux « la Fronde du peuple, la Fronde avec l’élément populaire, communiste, socialiste de plus »), pour le suffrage universel et pour la République, et propose aux députés un gouvernement provisoire qui exclut les socialistes. Suivis par une foule de manifestants, Lamartine et le futur gouvernement provisoire gagnent l’Hôtel de Ville. La deuxième République y est proclamée dans la nuit. La foule rassemblée obtient la nomination au gouvernement provisoire de deux nouveaux membres : le socialiste Louis Blanc et un ouvrier, Albert. En sont donc membres : Dupont de l’Eure (président), Lamartine (ministre des Affaires étrangères), Alexandre Marie (Travaux publics), Ledru-Rollin (Intérieur), Louis Garnier-Pagès (Finances), l’astronome François Arago (Marine et Colonies), Ferdinand Flocon (Agriculture et Commerce), Isaac Crémieux (Justice), Armand Marrast, Louis Blanc et Alexandre Albert.

    "Pour la première fois dans mes foyers depuis vendredi 23 ; notre bataillon n’a point cueilli de lauriers. Notre compagnie n’a eu qu’une barricade de 18 pouces de haut à enlever et nous n’avons pas tiré un seul coup de fusil. Cependant un brave officier de la ligne qui nous commandait y a reçu un coup de baïonnette dont il est bien malade. Voilà pour nos exploits."
    Prosper Mérimée. Correspondance. 28 juin 1848.

    La Chambre des Députés est dissoute et il est interdit à celle des Pairs de se réunir. Louis Blanc lance des Ateliers nationaux censés redonner du travail aux chômeurs, mais qui n’auront jamais, dans leur courte vie, les moyens de leur ambition. En effet, les projets de Blanc de créer avec les chômeurs des entreprises contrôlées par l’État ne verront jamais le jour. Les entrepreneurs craignent la concurrence et s’y opposent, ralliant Lamartine (et apparemment Hugo) à leur position.

    Une multitude de journaux et clubs républicains voient alors le jour, touchant un public où les bourgeois se mêlent parfois aux ouvriers. Raspail fonde ainsi le journal et le club L’Ami du peuple. Blanqui et Barbés, libérés, créent le leur.
    Cette période de réconciliation des classes et d’euphorie nationale dure jusqu’en avril.

    Louis Blanc et l’extrême gauche organisent le 16 avril une manifestation pour repousser la date des élections, sans succès. Pour les socialistes, ces élections arrivent trop tôt, sans que le temps ait permis d’éduquer politiquement la population, en particulier en zone rurale. Lamartine lance aussitôt sur la place de l’Hôtel de ville une contre manifestation victorieuse du gouvernement provisoire et de la garde nationale.

    Ces élections de l’Assemblée constituante le 23 avril connaissent un taux de participation de 84% ! C’est la première fois que tous les hommes votent vraiment en France.
    Elles amènent au Palais Bourbon cinq cents républicains modérés (dont Lamartine, Tocqueville, Lamennais, Quinet), trois cents royalistes et cent républicains de gauche (dont Barbès et Blanc, mais pas Blanqui ni Raspail). C’est une chambre qui se méfie des ouvriers parisiens.

    "Depuis soixante ans, la France allait en fait de gouvernements de mal en pis. Napoléon lui avait donné un despotisme oint de suie de poudre, mais scintillant de gloire ; la France lui pardonna. La Restauration lui avait ramené le privilège et les coups de cravache des gentilshommes ; mais elle était franche d’allures et sans hypocrisie ; quelques domestiques fidèles la suivirent sur la terre d’exil. L’infâme gouvernement qui vient de tomber voulut tenter sur la nation l’astuce, l’hypocrisie, la cupidité et toutes les basses passions ; un croc-en-jambe du Peuple a suffi pour le jeter dans la boue."
    Charles Baudelaire. Le Salut public, 27 février 1848.

    Une manifestation ouvrière contre la suppression pressentie des Ateliers nationaux est matée dans la violence à Rouen. La République fait tirer sur le peuple [3].

    En attendant qu’une Constitution ne voie le jour, l’assemblée élit le 10 mai une « Commission exécutive » modérée, composée de Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine et Ledru-Rollin. Exit Louis Blanc et Albert. Le symbole est clair.

    Lire la suite de l'article ici:
    http://www.terresdecrivains.com/1848-des-ecrivains-sur-les
  • Catégories : La littérature

    Irène Heidelberger-Leonard : l'homme qui n'a pas connu la paix

    LE MONDE DES LIVRES | 17.01.08 | 12h43  •  Mis à jour le 17.01.08 | 12h43
    "L'intellectuel à Auschwitz" : c'est ainsi qu'on présentait Jean Améry depuis la publication, en 1966, de Par-delà le crime et le châtiment, essai fondateur pour surmonter l'insurmontable. Dix ans plus tard, son Traité sur le suicide, qui défendait la mort volontaire comme un droit inaliénable, connaissait lui aussi un retentissement considérable. Mais qui était Jean Améry ?

     


    Primo Levi est resté lui-même très elliptique sur le "philosophe suicidé" croisé à Auschwitz : "Hans Mayer, alias Jean Améry : sa vie est tendue entre ces deux noms, une vie qui n'a pas connu la paix et ne l'a pas recherchée." Qui s'était alors interrogé sur l'homme et qui connaît aujourd'hui la nature de ses écrits ? La somme biographique d'Irène Heidelberger-Leonard a l'immense mérite de restituer à cet "exilé perpétuel" son oeuvre et sa vie. Une vie que l'histoire s'est acharnée à lui refuser.

    Mêlant subtilement empathie et distance critique, recourant autant à la documentation qu'à l'interprétation, Irene Heidelberger-Leonard, par ailleurs éditrice allemande des oeuvres complètes de Jean Améry, redonne d'abord une physionomie aux "quarante-cinq kilos de vie réchappée en pyjama rayé" qui s'étaient établis à Bruxelles. Petit homme frêle, une inévitable Gauloise à la main et le regard concentré sous d'épaisses paupières, Améry sort de l'ombre, tels "Mozart et Voltaire", mélange d'obscurité et de lumière, union de la grâce et du démoniaque. Mais le travail patient et pionnier de la biographe - ses entretiens avec les témoins encore vivants (amis d'enfance et compagnons d'exil), sa quête minutieuse d'archives souvent inédites, son exploration de milliers d'articles de presse écrits pour survivre - restitue également à cette "vie âpre et sombre d'écriture" un arrière-plan historique, sociologique et culturel.

    De son vrai nom Hans Mayer, Jean Améry est né le 31 octobre 1912, à Vienne, dans une famille de la petite bourgeoise ; il perd très tôt son père à la guerre. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'une des premières évocations de la figure de Jean Améry se trouve dans une oeuvre de fiction écrite par Ingeborg Bachmann, elle-même autrichienne hors d'Autriche. Lecteur insatiable, Jean Améry avait toujours rêvé de devenir écrivain, et n'aura finalement eu le droit que d'être "le déporté professionnel", "le juif souffrant de la souffrance juive". Une première fois meurtri par les jugements condescendants portés sur son roman Lefeu ou la démolition, il est littéralement anéanti par l'échec de son Charles Bovary : "Si Bovary se plante, je saurai ce qu'il me reste à faire." Le 17 octobre 1978, Jean Améry, qui n'avait jamais voulu retourner s'établir dans son pays, se donne la mort dans une chambre d'hôtel de Salzbourg. Quelques mois auparavant, il avait écrit à Ernst Maier, son ami d'enfance : "J'appartiens à ce paysage de collines."

    De l'auberge bucolique de Haute-Autriche à l'université populaire de Vienne la rouge, de l'éveil politique pendant l'insurrection ouvrière de 1934 à l'exil sans retour de 1938, de la résistance en Belgique à la déportation en 1941 - l'itinéraire de Jean Améry ainsi recomposé vient croiser la destinée tragique des quelque 130 000 exilés autrichiens, majoritairement juifs, que la République d'Autriche n'aura jamais appelés officiellement au retour. Rien, ou presque, de ce qui avait constitué leur culture d'avant l'exil ne pouvait être à nouveau mobilisé pour rebâtir une quelconque identité autrichienne. On comprend alors un peu mieux tout ce qui sépare l'Italien Primo Levi de Jean Améry l'Autrichien. L'homme de science issu de la grande bourgeoisie juive de l'autodidacte prolétarisé dont même le judaïsme a été forgé "ex negativo". Pour l'apatride que fut Jean Améry, seul un certain type de littérature pouvait encore faire figure de "Heimat" (patrie, au sens de foyer) : "Ce pays peut nous rendre malade de dégoût quand c'est le nôtre. Mais on continuera toujours de l'aimer à notre façon, d'un amour tourmenté", affirmera Jean Améry à la parution de L'Origine, de Thomas Bernhard.

    Comme l'écrit si justement Irene Heidelberger-Leonard, Jean Améry ne pouvait être autrichien qu'au sens "sentimental" du terme. En témoignent ses lettres quasi quotidiennes à sa seconde femme, Maria, tour à tour ardentes ou querelleuses, truffées des diminutifs les plus fantaisistes puisés dans le dialecte autrichien. En témoigne aussi cet humour facétieux, volontiers morbide : "Figurez-vous qu'un étudiant m'a récemment demandé : "Pourquoi avez-vous écrit ce livre sur le suicide et ne vous êtes-vous pas suicidé ?" Je lui ai répondu : Patience !"

    Un Hans Mayer finalement enfantin et jouisseur à ses heures, amoureux des femmes et de Paris, dont l'âpreté de la vie éclaire l'intransigeance de l'oeuvre, et inversement. Un Jean Améry, dont il faut relire les essais limpides et découvrir la fiction expérimentale. Quelqu'un qui éblouit dans le noir, par sa négativité et sa force de démolition, son front bosselé "à force de se cogner aux limites", comme le dirait Ludwig Wittgenstein.


    JEAN AMÉRY de Irène Heidelberger-Leonard. Traduit de l'allemand par Sacha Zilberfarb. Actes Sud, 370 p., 28 €.
  • Catégories : La littérature

    Té ! vé !... c'est Tartarin !

    Avant de (re)plonger dans les aventures de ce fameux Tartarin, il est urgent de lire l'excellente préface de Jean-Didier Urbain qui replace non seulement cette trilogie dans l'œuvre générale de Daudet, prénommé Alphonse, mais aussi qui en dégage l'originalité et la richesse. Loin d'être une simplette facétie méridionale, Tartarin, dont le profil n'est pas sans évoquer un père Ubu « avé l'accent », est d'abord un parcours typique de ces années où la satire sociale se maquille prudemment sous le grotesque et le loufoque. Il n'est donc jamais trop tard pour clamer : « Té ! vé !... c'est Tartarin... Et adieu, Tartarin ! » ◆ G.H. Alphonse Daudet, Les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon, 538 p., 16 €

    Source: Télérama.fr

  • Catégories : La littérature

    La Belle Epoque en revue

    Restons dans les cénâcles littéraires avec ce livre, paru il y a quelques mois seulement, consacrée à la Revue Blanche. Un livre un peu fouillis, dense de ses plus de mille pages, mais qui rend compte de cette véritable ruche qu’a représentée la Revue Blanche, à la charnière du XIX et du XXe siècle. Libertaire, audacieuse, imaginative, découvreuse de talents, cette publication périodique dirigée par les frères Natanson et « peignée » par Félix Fénéon (dont Félix Vallotton avait fait un beau portrait) s’empara des questions politiques, ouvrit ses colonnes à Mirbeau, Apollinaire, Péguy, Mallarmé, Jarry mais aussi aux Nabis ou aux Fauves dont les tableaux faisaient hoqueter beaucoup dans les expositions. Une revue qui justifie à elle seule l’expression de Belle Epoque ◆ G.H. Paul-Henri Bourrelier, La Revue Blanche. Une génération dans l’engagement (1890-1905), Fayard, 1200 p., 45 €.

    Source: Télérama.fr

  • Catégories : La littérature

    Promenade et enquête

    On ne sait si Albert Thibaudet (1874-1936) a lu du Simenon mais son Histoire de la littérature française, publiée en 1936, relève aussi du goût de l’enquête et de la promenade. La littérature de 1789 à l’après 1914, est son jardin. Thibaudet lit, explique, range par catégorie, identifie les générations d’écrivains et s’attarde sur les grands : Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Musset, Stendhal, Balzac, Baudelaire et consorts. Une Histoire évidemment érudite, presque complète. Mais une Histoire qui se lit facilement, tant l’esprit de Thibaudet circule d’auteur en auteur, expliquant Balzac par Auguste Comte ou pestant — nous ne sommes que dans les années 30 — contre les adaptations au cinéma ◆ G.H. Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française, CNRS éditions, 592 p., 10 €

    Source: Télérama.fr

  • Catégories : La littérature

    Fabrice Bourland : surnaturel, mon cher Watson...

    LE MONDE DES LIVRES | 17.01.08 | 12h17  •  Mis à jour le 17.01.08 | 12h17
    Quoiqu'il paraisse dans la collection "Grands détectives", ce roman n'est pas un policier. Pourtant on y voit apparaître, sinon à proprement parler le fantôme de Sherlock Holmes, du moins son corps astral révélé par une séance de spiritisme. Heureux clin d'oeil : on n'ignore pas que le père du détective de Baker Street, Arthur Conan Doyle, s'est converti à la fin de sa vie à la cause spirite...

     


    Ce phénomène conduit une visiteuse de renom dans le cabinet de deux détectives originaires du Canada anglais, Andrew Singleton et James Trelawney, venus à Londres chercher le frisson de l'aventure. Une vague de criminalité sévit alors : la femme pressent un lien entre ces deux événements concomitants. L'enquête qu'elle demande aux deux jeunes détectives va les entraîner, une fois la surprenante identité du fantôme dévoilée sous l'influence d'un médium, dans une affaire qui mérite à tous égards le qualificatif de fantastique.

    Car la visiteuse n'est autre que Jean Conan Doyle, la seconde femme d'Arthur. Elle révèle aux deux limiers qu'avant de mourir son mari a prononcé une phrase énigmatique : "Le pensionnaire est sorti de sa boîte. Il faut absolument qu'il y retourne !"

    L'écrivain faisait-il allusion à sa créature, dont il avait jadis tenté de se débarrasser ? C'est ce que devra démêler Andrew Singleton, fils sceptique d'une sommité spirite, qui verra au cours de cette affaire vaciller ses certitudes les plus ancrées avant d'être entraîné dans un véritable cauchemar.

    Fabrice Bourland fait un usage érudit et très habile de la mythologie holmésienne - le lecteur verra même passer le docteur Watson ! - et plus encore de la biographie de Conan Doyle, qui délaissa les fastes de la déduction et de l'enquête pour vanter ceux de la communication avec les défunts. Il nous régale de surcroît d'un final inattendu et savoureux qui clôt véritablement en beauté cette première aventure d'un duo prometteur de "détectives de l'occulte" qu'on peut d'ores et déjà voir à l'oeuvre dans un second roman : Les Portes du sommeil.


    LE FANTÔME DE BAKER STREET de Fabrice Bourland. 10/18 "Grands détectives", 248 p., 6,90 €.