Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Daniel Pennac, prix Renaudot pour "Chagrin d'école"
Le 5 novembre 2007 à 13h28 | LE FIL LIVRES
"Mais comment un cancre pourrait-il être joyeux ?" : Entretien - Daniel Pennac
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Le 5 novembre 2007 à 13h28 | LE FIL LIVRES
"Mais comment un cancre pourrait-il être joyeux ?" : Entretien - Daniel Pennac
VIDÉO Le plus célèbre des prix littéraires français a été décerné cette année à Gilles Leroy pour son roman "Alabama Song". Un livre magistral selon Mohamed Aissaoui, critique littéraire au Figaro.
| 11/10/2007) |
| Un chef d'oeuvre de Paul Gauguin représentant des Tahitiennes se baignant sous des manguiers, "Te Poipoi" ("Le matin"), pourrait atteindre 60 millions de dollars (42,8 M EUR) lors d'une vente aux enchères par Sotheby's le 7 novembre, a annoncé la maison de vente. |
http://www.menara.ma/Infos/includes/detail.asp?article_id=5669&lmodule=divertissement
Pour la première fois en France, la fille de Philip K. Dick, Isa Dick-Hackett, évoque la vie et l’oeuvre de son père. Entretien exclusif.
L'écrivain et scénariste de bandes dessinées François Rivière rend hommage à trente héros de son enfance.
Une équipe de six rédacteurs pour ce blog collectif consacré à la littérature contemporaine créé "sous l’impulsion de Philippe Boisnard et de Fabrice Thumerel". Comme me l'a expliqué Philippe :
Libr-critique.com a été fondé il y a pratiquement deux ans. mais le passage à WordPress date d'il y a un an. Depuis j'y travaille quotidiennement au niveau des codes et des fonctions. Tentant de maximiser les potentialités techniques permises par le css entre autres. Les points forts de ce blog, je crois : reportage sur les festivals en temps réel (nous diffusons les reportages dans la journée) + maintenant une émission live qui s'est très bien déroulée dimanche. Dimanche prochain la suite et ceci grâce à Stickam.http://www.pointblog.com/past/2007/09/04/librcritique_blog_et_actualites_des_litteratures_contemporaines.htm
Les rugbymen ne boudent pas la compagnie des écrivains. Quinze joueurs d'hier ou d'aujourd'hui nous présentent leur livre de chevet.
Je le remercie pour son message sur mon livre d'or (cf. colonne de droite) et je vous invite à le découvrir:
romancier : http://lucius. free.fr/roman
Photographe Paris-Région parisienne
| Téléfilm dramatique
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| Acteur : Cyrielle Clair, Melissa Djaouzi, Roger Hanin
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| Histoire : Un homme d'affaires marseillais, marié, père et grand-père, tombe amoureux d'une jeune fille de 20 ans qui se laisse séduire tout en se refusant.
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| Résumé : Leïla Toualbi a 20 ans, travaille à la chaîne dans l'usine de Charles Mathéo. Envoûté par sa beauté, ébranlé par sa fougue, l'homme de pouvoir a tôt fait de perdre ses repères et de baisser les armes malgré lui. Mais, sous ce soleil de plomb, l'orgueil et l'honneur ne font pas bon ménage avec l'amour. Leïla a tôt fait de tourner la tête de Charles, à qui elle demande sans cesse de nouvelles preuves d'amour. Celui-ci, un temps sous sa coupe, finit par se lasser de son petit jeu. Entre la jeune femme et l'homme d'âge mûr, le rapport de force grandit en intensité. Paola, l'épouse de Charles, traverse la tempête avec une dignité impressionnante...
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| Critique : Une nouvelle adaptation du roman sulfureux de Pierre Louÿs, avec un Roger Hanin passionné http://www.linternaute.com/television/programme-tv/programme/1136810/la-femme-et-le-pantin/ |
Cette chronique littéraire de la campagne présidentielle est l'événement de la rentrée éditoriale.
Vous voici dans la chambre de Marcel Proust, au Grand Hôtel de Cabourg. Ici, le romancier séjourna tous les étés, après la mort de sa mère, de 1907 à 1914, et composa les chapitres balnéaires de «A la recherche du temps perdu». Le liftier-bagagiste, un bachelier de Bénéville qui se destine à des études de marketing sportif («Il paraît que ça rapporte»), pose votre valise puis vous regarde à travers ses lunettes avec un air d'abattement et d'inquiétude extraordinaire, comme s'il allait se jeter du haut des quatre étages. Vous avez lu «la Recherche», donc vous déchiffrez sans peine sa détresse et le pourquoi de sa mine atterrée. Comme le liftier de «Sodome et Gomorrhe», ce jeune Normand «tremble» pour son pourboire, il s'imagine que vous ne lui donnerez rien, que vous êtes «dans la dèche» et «sa supposition ne lui inspire aucune pitié pour vous, mais une terrible déception égoïste».
Comment s'approprier la chambre de papier de Marcel Proust? Sous votre fenêtre passe, comme dans les pages de «A l'ombre des jeunes filles en fleurs», «le vol inlassable et doux des hirondelles» - sinon celui des «martinets». Devant vous s'étale la mer - cette mer que Proust peint sans cesse comme si c'était une montagne avec ses «contreforts» et ses «cimes bleues», et comme s'il avait trouvé dans la «surface retentissante et chaotique de ces crêtes et de ces avalanches» sa Sainte-Victoire. Sous vos yeux, un club de plage, le Canard club, et la digue où se matérialise pour la première fois Albertine, avec sa bicyclette. Cette digue s'appelle désormais la promenade Marcel-Proust.
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Fabrice Pliskin
Le Nouvel Observateur
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/supplement/p2228_2/articles/a350713-un_weekend_en_marcel.html
La polémique fait rage dans ce joyau du pays cathare, propriété du conseil général de l'Aude et de chanoines traditionalistes, à l'occasion d'une manifestation littéraire organisée par le département, qui veut récupérer les lieux.
La Côte fleurie et les bains de mer ont quelque chose à voir avec la littérature. Les plus grands écrivains y ont pris du bon temps et trouvé l'inspiration. Des natifs - Flaubert, Alphonse Allais - aux hôtes de marque - Dumas, Proust, Zola, Duras -, voici pourquoi et comment ils ont aimé ces cieux et ce rivage.
Vous êtes en vacances sur les plages de la Côte fleurie, vous voulez épater vos amis avec le souvenir du passage de people vraiment haut de gamme? Nous avons une recette très simple. Vous les emmenez sur la plage de Trouville; vous poussez une marche sur un petit kilomètre en direction de Villerville et vous désignez le premier espace herbeux que vous apercevez, sur la falaise, en disant: «Arrêtons-nous un instant, c'est ici que venait Flaubert.»«Flaubert?» s'esbaudissent vos amis (qui sont bon public), « et comment le sais-tu?» Et vous, d'une voix sobre et élégante: «L'après-midi, on s'en allait avec l'âne, au-delà des Roches Noires, du côté d'Hennequeville (...). Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douée qu'on entendait à peine son murmure, des moineaux cachés pépiaient, et la mute immense du ciel recouvrait tout cela.»Le texte est tiré d'«Un coeur simple», le plus émouvant des «Trois contes», la belle histoire de Félicité, la pauvre servante de Pont-L'Evêque. Il fut écrit il y a près d'un siècle et demi, et vos amis le constateront avec vous: sinon les ânes, qui se font rares, rien n'a changé ici. Vous avez compris l'idée. Tous les ans à pareille époque, les magazines se ruent sur les bords de mer pour y traquer les starlettes du moment. Nous avons décidé, à l'«Observateur», de relever d'un cran cette habitude paresseuse. Les célébrités dont nous allons vous parler n'ont gagné aucun télécrochet sur M6, elles n'ont pas épousé de footballeurs et ne peuplent que rarement les pages de «Voici» ou de «Gala». Celles du Lagarde et Michard leur suffisent: ce sont nos grands écrivains. Y songe-t-on assez? On les imagine toujours trempant leur plume d'oie dans le sombre encrier de leur génie. On oublie trop qu'eux aussi, comme vous et moi (les jours de courage), ont trempé leurs pieds émus dans les eaux vivifiantes de la Manche.
Soyons fair-play. Nous parlons ici d'écrivains en villégiature au pays d'Auge. Nombre d'entre eux n'ont pas eu à y venir, puisqu'ils y sont nés ou qu'ils y avaient de solides attaches familiales. Il serait indélicat de ne pas les mentionner au passage. Pont-l'Evêque a donné au monde Robert de Fiers dont le nom ne vous dit peut-être rien, et c'est bien dommage: avec son compère Gaston de Caillavet, ce boulevardier a donné vers le début du XXe siècle quelques comédies à hurler de rire. Gide, avant d'acheter son cher Cuverville, sa propriété sise non loin de Fécamp, venait au domaine de famille de La Roque-Baignard, petit village près de Cambremer, dont il fut même le maire, peu avant 1900. Et comment oublier Honfleur, qui mériterait le label d'«Athènes de l'estuaire» tant les gloires des arts et des lettres y pullulent? Boudin le peintre, Satie le musicien, bien sûr, mais tant d'autres. Dans quelques pages, Patrice Delbourg nous dit tout d'un fils de pharmacien nommé Allais. N'oublions pas le délicat Henri de Régnier (1864-1936), poète symboliste, ou Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) dont on ne lit plus guère les poèmes et les romans, mais dont on honorera au moins un vers, qui n'est pas si mal: «L'odeur de mon pays était dans une pomme...» Et que dire des Honfleurais d'adoption - même brève? Baudelaire passe plusieurs mois, en 1859, à la «maison joujou», la propriété achetée par le général Aupick, beau-père détesté, heureusement mort depuis deux ans. Il cherche à s'éloigner des démons qui le tourmentent, l'alcool, les mauvais plaisirs, pour se concentrer sur ce qui deviendra l'édition définitive des «Fleurs du mal».
Stendhal, lui, y passe à peine, dans les années 1830, et sans le vouloir vraiment. Il espérait attraper le bateau du Havre, qui vient d'appareiller. Il trouve la petite ville très laide - il faut dire que le port, si brillant un ou deux siècles avant, n'en finit plus de décliner -, mais, charmé par sa longue promenade dans les environs, il lance un pari sur l'avenir: avec les progrès des chemins de fer, Paris n'est plus qu'à dix heures! Bientôt les riches se presseront ici. Son intuition n'est vraie qu'à moitié. Contrairement à ce qu'il pressentait, le beau monde ne fera pas construire dans les coteaux ombreux qui bordent l'estuaire mais sur la côte. Il viendra y chercher un agrément incroyable, une nouveauté décoiffante, un plaisir auquel nul n'avait encore pensé: la mer.
LA FOLIE DES BAINS DE MER
Le point nous paraît incroyable. C'est ainsi: jusqu'au XXe siècle, l'Océan, c'est le danger, les vents mauvais, les pirates, la menace d'invasion: n'oublions pas que l'Anglais est en face. Il existe des ports, bien sûr, mais on y construit le plus souvent dos au rivage. Et sur ces vastes étendues sableuses battues par les vagues que l'on nomme toujours «la grève», aucun Parisien ne s'aventure jamais, sinon quelques intrépides, comme Charles Mozin, un joli petit peintre de 19 ans. Nous sommes en 1825, il est lui aussi en voyage à Honneur, il cherche des points de vue originaux, il aime marcher. Il longe la côte, passe Villerville et ses pêcheuses de moules et, ébloui, pose un beau jour son chevalet devant quelques pauvres masures groupées à l'embouchure de la Touques. Le lieu lui semble d'un pittoresque accompli.
Trouville est, écrit Alexandre Dumas, «à peu près aussi ignoré que l'île de Robinson Crusoé».
Vous l'avez compris, nous voilà à Trouville. Son goût est sûr, le lieu va plaire. D'abord, il convoque ses amis rapins, Corot, Huet. Rapidement la réputation s'étend. Un beau jour de l'été 1832 débarque un autre Parisien d'envergure, Alexandre Dumas. «Débarque» est à prendre au sens littéral. Depuis Honneur, les chemins sont si boueux qu'en carriole, il faut cinq heures. Sa compagne et lui ont donc opté pour le seul autre moyen possible, un canot conduit par «quatre vigoureux rameurs» qui ont donné loisir aux passagers d'être ébloui par le paysage: à droite «océan infini», à gauche des falaises «gigantesques». Ce sont celles de Villerville; ceux qui les connaissent goûteront le sens de l'exagération du père des «Trois Mousquetaires». L'endroit, écrira-t-il, est «à peu près aussi ignoré que l'île de Robinson Crnsoé», et les indigènes qui y demeurent parlent un patois si étrange qu'il faut communiquer par signes. Le séjour est néanmoins enchanteur. Chez la Mère Ozeraie, on sert à chaque repas les délices du cru, crevettes, côtelettes de pré-salé, sole, et l'homme profite du séjour pour faire une folie: aller se baigner. Voilà bien l'invention nouvelle qui va révolutionner ce que l'on n'appelle pas encore les vacances. Le bain de mer! Celui de Dumas est un mauvais exemple. Il y est allé à l'antique, nu comme une statue de Praxitèle. Les temps sont puritains, ce plaisir qui nous semble si naturel n'entre dans les moeurs que par des voies plus détournées. Ce sont les médecins anglais qui, à la fin du XVIIIe siècle, ont réussi à convaincre la haute société que cette pratique était souveraine pour soigner les «maladies des glandes», terme commode, il recouvrait n'importe quoi. De retour d'émigration, les aristocrates français vont rapporter cette curieuse coutume sur cette rive de la Manche. La mode en sera définitivement lancée à Dieppe en 1824, quand la duchesse de Berry elle-même, belle-fille de Charles X, mère de l'héritier du trône, coiffée d'une toque, vêtue d'une robe, chaussée de bottines, accompagnée de son médecin, soutenue par deux «maîtres baigneurs» et lorgnée par la foule massée sur le rivage, fait quelques mouvements dans l'eau, «à la lame», c'est-à-dire à marée montante, la seule qui, dit-on, soit vraiment curative. Une nouvelle folie est née. Elle n'est pas simple à pratiquer, on l'a compris, mais c'est à elle que la côte normande devra sa fortune, et la littérature quelques-uns de ses grands chocs.
N'est-ce pas pour une baigneuse que le petit Flaubert, âgé de 15 ans, en 1836, en vacances avec ses parents dans un Trouville presque sauvage encore (on n'y trouve que deux auberges), ressentira son premier grand frisson? Elle se nomme Elsa Schlesinger, elle est mariée mais distraite: de retour du bain, elle oublie sa cape sur la rive. Le jeune Gustave la rend au mari et ne se remettra jamais de son amour fou pour la femme. Trouville si, qui d'année en année se métamorphose. On construit des bains, un casino, des hôtels, les planches. L'île de Robinson devient la station en vogue. Toute la capitale s'y presse bientôt. On y chantera: «Sur la plage, allons prendre l'air / Contemplons l'océan tranquille / Ah! si Paris avait la mer / Ce serait, un petit Trouville.» Evidemment, les anciens dépriment: «Comme je vous remercie de détester le Tronville moderne. Pauvre Tronville!» Bien des gens pensent cela aujourd'hui. Ils en ont bien le droit, on leur rappellera simplement que c'est ce qu'écrivait Flaubert en 1875. Mais les autres adorent. Michelet trouve que l'air est plus doux et meilleur pour la poitrine qu'à Dieppe ou au Havre. Les Goncourt, en 1867, y trouvent matière à leur mauvaise humeur: les enfants sont trop bruyants, les cloches de l'église font trop de bruit («elles sont pires qu'à Rome»), ils doivent faire table d'hôte avec des «femmes à barbe» et il faut changer le matelas, parce que l'un des frères s'est transformé «en saint Sébastien des puces». Mais quoi de meilleur, pour ces mauvais coucheurs de légende, que de pouvoir râler? Du coup, ils reviennent l'année suivante. Un peu plus tard, dans les années 1890, Proust y vient, une fois au Frémont - cette vieille maison hélas! presque en ruine aujourd'hui, sur les hauteurs de la ville -, ensuite aux Roches noires. Mais, finalement, il met le cap au sud, comme le fait pour nous Fabrice Pliskin, parti sur ses traces à Cabourg.
L'INVENTION DU BRONZAGE
Il est vrai que, sur la côte, le vieux peut paradis de Mozin et Dumas a des rivales. Zola, en 1875, a cherché des bains de mer pour tenter de redonner un peu de santé à sa pauvre épouse. Il va à Saint-Aubin et est médusé, si l'on ose écrire, par la mer: «C'est tout autre chose que la Méditerranée, c'est à la fois très laid et très grand.» En revanche, sa femme va vite mieux, et la pêche aux crevettes les enchante, surtout les crevettes rouges, incroyables, que l'on prend aux grandes marées. Et Deauville n'en finit pas de monter. Morny, le demi-frère de Napoléon III, l'a lancée. Son grand galop de chic, de courses, de roulette, de vrais princes et de fausses gloires, de Bottin mondain et de demi-mondaines n'en finit plus.
Lancé par le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, Deauville n'en finit pas de monter.
Dans les années 1910, une styliste encore peu connue, Gabrielle Chanel, a installé une boutique à côté du casino. Bientôt elle lancera une coutume qui paraît aussi incongrue que la baignade cent ans plus tôt: le bronzage. La saison compte tellement, maintenant, à l'ombre du Normandy, que «Comoedia», le journal culturel du moment, envoie pour la couvrir quelques talents prometteurs de la littérature. Par un bel été, accompagné du peintre André Rouveyre, chargé des croquis d'illustration, voici un pigiste nommé Apollinaire. Il est ravi. Leur hôtel pullule de jolies filles. Il va déjeuner à Villerville chez Alfred Savoir, un auteur dramatique «judéo polono français» qu'il trouve «sot pour un Juif, superficiel comme beaucoup de Polonais, mais gentil», mais il sent qu'il ne déplaît pas à sa «petite femme», polonaise également, tout comme il l'est lui-même, ne l'oublions pas. Ensuite, un verre chez Tristan Bernard, «laid et exquis». Tout est au mieux cette année-là, sinon le millésime: nous sommes en 1914. Le devoir les appelle, il faut rentrer fissa à Paris pour voir ce qui s'y passe. D'autres, ce même mois d'août, préfèrent le chemin inverse. Prudent, Guitry arrive au Normandy mais - juré, craché - c'est uniquement pour des raisons médicales: son médecin lui a conseillé le calme. L'hôtel bruit d'une faune pittoresque: une femme porte un jour de la zibeline, un autre du chinchilla, mais elle a tous les jours «une gueule de putois». Et le richissime comte Greffulhe arrive avec trois Rolls Royce, une pour lui, une pour ses malles et son valet de chambre, et une pour son «entremettier et son cuisinier» - cet homme n'aime pas voyager sans son confort. Le reste de la guerre sera moins drôle, tous les hôtels sont transformés en hôpitaux. Mais les années 1920 y seront aussi folles qu'ailleurs. Le peintre Foujita peint des robes à même la peau des femmes, et se fait tatouer une montre-bracelet sur le poignet, qui, à n'en pas douter, est juste deux fois par jour. Mistinguett débarque en auto de Villerville où elle a sa villa. La sublime Suzy Solidor traîne son chic altier sur les planches. Il faut attendre 1958, toutefois, pour croiser un nouvel événement littéraire essentiel et très simplement codé: par un fameux peut matin du 8 août, à huit heures, avec les 80 000 francs gagnés dans la nuit grâce au même chiffre magique évidemment, Sagan achète son fameux «manoir du Breuil», sa belle maison d'Equemauville. Il avait abrité d'autres plumes avant elle, c'est là que Guitry épousa une de ses femmes, mais la magie du huit ne devait pas fonctionner encore, comme chacun sait, il ne se maria que cinq fois. En 1963, encore un placement immobilier appelé à la postérité: Marguerite Duras achète son appartement dans un hôtel vendu en petit morceau, les Roches noires, et bientôt Didier Jacob nous en dira tout (p. X).
Et pour nous, cette promenade écrite sur la Côte des lettres s'achève. Est-ce à dire que les écrivains d'aujourd'hui n'y viennent plus? Allons! De Jérôme Garcin à Patrick Rambaud, de François Bott à Christine Orban, pour ne citer qu'eux, il faudrait plutôt dire qu'ils y viennent tous. Mais pourquoi, lecteurs, devrions-nous faire le travail à votre place? Vous voilà ici, comme eux, pour l'été. Vous aussi, vous les croiserez un jour ou l'autre devant la lieutenance de Honneur, sur le marché de Trouville, les planches de Deauville, les chemins du pays d'Auge ou dans les salons de thé de Cabourg. Demandez-leur de vous raconter leur Normandie. Ils le feront de bon coeur. Même les écrivains, parfois, prennent des congés, et quoi de plus agréable, quand on est en vacances, que de bavarder entre vacanciers?
François Reynaert
Le Nouvel Observateur
Source:http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/supplement/p2228_2/articles/a350711.html
Il ne faut pas se fier à son air de garçon sage, de guerrier appliqué et de lettré télégénique. Olivier Barrot est fou. Un fou volant. Sa seule patrie, c'est un tarmac dans le petit matin. A la fois Fregoli, ubiquiste et schizophrène, il ne cesse de faire le tour du monde et ne prend même pas le temps de se poser. On ignore ce qu'il fuit, ce qu'il cherche, en jonglant avec les fuseaux horaires. A côté, l'homme pressé selon Paul Morand est un flemmard.
Lorsque, entre Turks-et-Caicos et Oaxaca, il lui arrive de faire escale à Paris, Barrot s'empresse d'enregistrer son émission «Un livre, un jour», de diriger le magazine «Senso», de donner des causeries dans les théâtres et des manuscrits sur Jean Vilar, René Clair ou Patrick Modiano. Le reste du temps, il est ailleurs. Son plus grand bonheur: «Atterrir dimanche à Tahiti en provenance de l'Australie quittée lundi. » Barrot gravite, jusqu'au vertige, dans le temps et l'espace. Il parcourt la Libye de l'empereur Septime Sévère, croise saint Grégoire l'illuminateur au monastère de Khor Virap, salue Somerset Maugham à l'Oriental de Bangkok, caresse l'encolure des akhal-teke sur le marché d'Achkhabad, lorgne la villa de Bruce Willis sur l'île de Parrot Cay, roule vers Singapour à bord de l'Eastern and Oriental Express et dévore la page sportive du «Daily Telegraph» au-dessus de la mer Caspienne.
Précisons qu'Olivier Barrot ne voyage jamais seul. Considérant que la cabine d'un avion est le cabinet de lecture idéal, cet insomniaque prie les écrivains de l'accompagner. Ils ne demandent que ça. C'est ainsi qu'il survole le Pacifique avec la Correspondance de Gide et Allégret, s'imprègne du Journal de Jean Cocteau pour aller à Auckland, se plonge dans Obaldia à Mexico et emmène partout Valéry Larbaud; son maître: qui lui a inspiré «Décalage horaire» (Folio, 6 euros), le plus subjectif; raffiné et inapplicable des guides de voyage. Car il serait vain de le suivre, il est déjà ailleurs.
Jérôme Garcin Le Nouvel Observateur - 2228 - 19/07/2007 Source:http://livres.nouvelobs.com/p2228/a350249.html
La Fédération des maisons d'écrivain & des patrimoines littéraires
vient de publier, grâce au soutien du Secrétariat d'Etat à la Consommation
et au Tourisme, une carte recensant 203 lieux, maisons d'écrivain et
musées littéraires, à visiter dans toute la France.
Cette carte à vocation touristique (bilingue anglais) recense, en
essayant d'être la plus complète possible, l'ensemble des maisons d'écrivain
et lieux liés à la littérature ouverts au public dans notre pays. Au
verso, elle donne la localisation exacte de chaque lieu et ses
coordonnées téléphoniques et renvoie à la consultation d'Internet, plus
particulièrement à la base de données du site de la Fédération.
Vous pouvez la commander auprès de la Fédération (la carte est
gratuite, seuls les frais de port vous seront facturés) ou l'obtenir dans
l'Office de Tourisme le plus proche de chez vous.
Rendez-vous sur notre site Internet : www.litterature-lieux.com !
Adressées en particulier à Simone de Beauvoir et à Jacques Guérin, ses lettres sont pleines de fougue.
C'est à la parution de son autobiographie, La bâtarde, en 1964 que Violette Leduc connaît un succès fulgurant qui la transforme en phénomène de foire. Une reconnaissance tardive pour cette femme qui écrit depuis vingt ans, appréciée de quelques amis et soutenue, entre autres, par deux fidèles: Simone de Beauvoir et Jacques Guérin. C'est à eux deux que s'adressent la plupart de ses lettres. «Violette Leduc était une épistolière infatigable, voire obsessionnelle», rappelle Carlo Jansiti dans sa préface, et cette correspondance est une oe; uvre en soi. On y retrouve sa fougue, sa liberté de ton, ses combats de femme libre d'aimer, son indépendance de point de vue dans le domaine privé comme dans les goûts littéraires. Des années durant, Violette déclare sa passion à Simone de Beauvoir qui lui oppose une totale indifférence sentimentale mais une fidélité amicale sans faille. «Je vous aime et vous m'inspirez un seul amour, la chasteté, le silence, la vie monacale, la discrétion, l'effort d'écrire», envoie-t-elle au Castor en 1949. Beauvoir est sa lectrice privilégiée, la conseillant, admirant son écriture tourbillonnante. Rien ne devrait rapprocher les deux femmes, mais Simone est sensible au talent et à l'intrépidité de Violette tandis que la jeune femme écoute passionnément celle qui lui «insuffle la force d'écrire».
Violette aime la «voix rauque» de Simone, sa beauté, son élégance. Elle le lui répète sans cesse et le note également dans des récits comme La folie en tête. Le petit mot, le pneumatique sont pour l'écrivain un moyen d'exprimer ses émotions, ses impuissances. Même chose avec Jacques Guérin, son ami et admirateur. Violette tombe amoureuse de cet homosexuel, et sa passion à sens unique ne fait qu'aiguiser son désir, elle qui cherche toujours l'impossible, provoquant sans cesse pour mieux se sentir rejetée. Dans ses récits, son autobiographie comme dans sa correspondance, Violette Leduc plonge dans l'autofiction avant même que le mot ne soit inventé, gommant l'éventuelle différence entre l'écriture privée et le récit public, la réalité et la fiction. Quand ment-elle? C'est la question qu'elle se pose à chaque fois qu'elle écrit une lettre, une page, un roman, revenant immanquablement au sens de la création, de l'authenticité portée par cette écriture exaltée qui reste inoubliable.
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Correspondance 1945-1972
Violette Leduc
Gallimard
500 pages.
Vous connaissez la plupart de ces phrases, mais savez-vous qui les a écrites? L'écrivain Dominique Noguez vous raconte la véritable origine des plus beaux aphorismes
1. «Les femmes ne se souviennent guère que des hommes qui les ont fait rire et les hommes que des femmes qui les ont fait pleurer»
a. Henry Bernstein
b. Henry de Montherlant
c. Henri de Régnier
2. «La célébrité, c'est le ridicule moins la honte»
a. Cioran
b. Roland Dubillard
c. Vauvenargues
3. «Le refus des louanges est un désir d'être loué deux fois»
a. Chamfort
b. Jacques Dutronc
c. La Rochefoucauld
4. «Entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit»
a. Lacordaire
b. Saint-Just
c. Tocqueville
5. «Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu'on en est revenu»
a. Alphonse Daudet
b. Jean Cocteau
c. Sacha Guitry
REPONSES
1. C'est Henri de Régnier dans «Donc...», volume de pensées paru aux Editions du Sagittaire-Simon Kra en 1927 et réédité en 2007 avec «Escales en Méditerranée» chez Buchet-Chastel. Ce superbe chiasme est moins équilibré qu'il ne semble: d'un côté un poncif vaguement machiste, de l'autre une remarque amère peut-être autobiographique. Homme qui pleure, Régnier, en effet, aurait eu de quoi l'être avec Marie, la fille de José Maria de Heredia, qu'il épousa en 1895 et qui le trompa successivement avec Pierre Louÿs, Jean de Tinan, Jean-Louis Vaudoyer, Edmond Jaloux, Henry Bernstein, Gabriele D'Annunzio et même Emile Henriot.
Il n'est pas sûr qu'au XXIe siècle les rires et les larmes soient répartis entre les sexes de façon aussi tranchée.
2. Cet apophtegme, qui semble fait pour notre ère télémédiatique, est de Roland Dubillard et figure à la fin d'«Entretien», l'un de ses savoureux «Diablogues», sketches pour deux comédiens écrits à partir de 1947 et dont beaucoup seront interprétés par Claude Piéplu et lui-même au théâtre et à la radio avant d'être publiés en 1976 aux Editions L'Arbalète (aujourd'hui en Folio/ Gallimard).
3. Jacques Dutronc se l'est attribuée sans vergogne dans un volume de «Pensées et répliques», mais c'est la maxime n° 149 de La Rochefoucauld. Elle est exemplaire du grand moraliste en ce qu'elle débusque la part de comédie et même de vice qui se tapit derrière les plus belles vertus. Comme toujours, c'est l'amour-propre qui mène la danse et qui, «dans le même temps qu'il se ruine en un endroit, (...) se rétabli! en un autre». A rapprocher de l'admirable maxime n° 138: «On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler», et aussi de la critique par saint Thomas de l'ironie socratique, forme d'autodépréciation qui masque selon lui un grand orgueil.
4. Jean-Baptiste Henri Lacordaire, en religion le père Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861), prononça la phrase en 1848, dans sa 52e Conférence de Notre-Dame de Paris. Elle était suivie de cette autre: «Le droit est l'épée des grands, le devoir est le bouclier des petits.» D'un côté, donc, le droit et la liberté, entendus comme sources d'abus; de l'autre, le devoir et la loi, qui protègent de ces abus.
Bonne façon, peut-être, de distinguer la gauche de la droite. Il y a le côté des forts, des riches, de ceux qui se sentent le vent en poupe pour entreprendre et conquérir, même s'ils doivent au passage faire beaucoup de casse: c'est la droite. Et il y a le côté des faibles, des pauvres, de ceux qui ne survivent que lorsque les protègent des lois qu'on ne viole pas impunément: c'est la gauche. Cette distinction, comme toutes les distinctions manichéennes, est évidemment sujette à nuances et exceptions.
5. C'est Sacha Guitry dans une note écrite «en tournée» à Naples et recueillie dans «le Petit Carnet rouge» posthume publié en 1979 par Henri Jadoux (Librairie académique Perrin). Quelques lignes plus haut, Guitry rêve d'«un homme qui adorerait les oeuvres d'art, les paysages, toutes les belles choses, et qui n'en parlerait jamais à personne».
Dominique Noguez
Le Nouvel Observateur - 2229 - 26/07/2007
Source:http://artsetspectacles.nouvelobs.com/p2229/a350689.html
Vous connaissez la plupart de ces phrases, mais savez-vous qui les a écrites ? Lécrivain Dominique Noguez vous raconte la véritable origine des plus beaux aphorismes
1. «Cordonnier, pas plus haut que la chaussure!»
a. Appelle de Cos
b. Boileau
c. Brumell
2. «Quand la borne est franchie, il n'est plus de limites»
a. Aristote
b. Christophe
c. Georges Pompidou
3. «Chassez la naturel, il revient au galop»
a. Boileau
b. Destouches
c. Horace
4. «La tolérance? Il y a des maisons pour ça»
a. Paul Claudel
b. Paul Léautaud
c. Jules Renard
5. «La politique est chapitre de la météorologie. La météorologie est la science des courants d'air»
a. Alphonse Allais
b. Edouard Herriot
c. Friedrich Nietzsche
REPONSES
1. Apostrophe du peintre grec Apelle de Cos à un cordonnier qui, après avoir donné son avis sur la manière dont il avait peint une sandale, se mêlait de vouloir juger une autre partie du tableau. (Rapporté par Pline l'Ancien, «Histoire naturelle», L. XXXV, § xxxvi, 85.) En latin: «Sutor, ne supra crepidam!»
2. La phrase a effectivement été prononcée par Georges Pompidou lors d'une conférence de presse, mais elle n'est pas de lui. On la trouve dans le commentaire d'une vignette de «la Famille Fenouillard», bande dessinée de Christophe (pseudonyme de Georges Colomb, par allusion au découvreur de l'Amérique) publiée en 1893 chez Armand Colin après parution en feuilleton à partir de 1889. La vignette, située page 178 dans l'édition Armand Colin de 1947, représente les deux filles Fenouillard, Artémise et Cunégonde, en train de se crêper le chignon sur une banquise. La phrase, entre guillemets, est introduite comme suit: «Or, comme l'a dit judicieusement un auteur célèbre: «Quand la borne est franchie, il n'est plus de limites!»...» Il est très probable que l'auteur célèbre est Christophe lui-même. Cela dit, la proposition pourrait être d'Aristote ou de tout autre bon philosophe. Car elle n'est qu'en apparence une tautologie. Elle signifie que, lorsqu'on entre dans un territoire inconnu, on n'y a plus de repères. Ou que, si l'on transgresse une fois la norme, on ne se laissera plus arrêter par rien. C'est la définition de la démesure (hubris, en grec).
3. C'est l'adaptation française par le diplomate, comédien et auteur dramatique Philippe Néricault, seigneur de La Mothe, plus connu sous le nom de Destouches (1680-1754), (1680-1754), d'un vers des «Epîtres» d'Horace (I, 10,24): «Naturam expelles furca, tamen usque recurret» ( «Tu peux chasser la nature (c'est-à-dire, ici, la végétation) à coups de fourche, elle n'en reviendra pas moins à toute allure »). Le vers de Destouches se trouve dans sa pièce «le Glorieux» (1732), acte III, scène 5. Lisette, dame de compagnie, s'adresse au Comte en lui reprochant son arrogance: «Je ne vous dirai pas: «Changez de caractère», /Car on n'en change point, je ne le sais que trop./Chassez le naturel, il revient au galop...»
4. Prononcée par Paul Claudel, la phrase a été notée par Jules Renard dans son «Journal» le 13 février 1900. Au cours du déjeuner, Claudel parle du mal que l'affaire Dreyfus «nous fait à l'étranger». «Mais la tolérance? objecte Renard. - Il y a des maisons pour ça», gronde Claudel. Observant aussi que sa soeur Camille lit le journal antisémite «la Libre Parole», Renard écrit: «Ils éprouvent je ne sais quelle joie malsaine à s'abêtir (...). Ils ne connaissent pas le sourire de la bonté.» Sur Paul, il ajoute: «Cet homme intelligent, ce poète, sent le prêtre rageur et de sang âcre. (...) Son âme a mauvais estomac.»
5. Cette double définition se trouve dans «Notes et maximes», recueil posthume d'inédits d'Edouard Herriot paru chez Hachette en 1961 et qu'on peut consulter à la BNF sous forme de microfiche (cote 16-Z-9567 L 1.40-MFC). On y trouve également le célèbre «la culture (...), c'est ce qui demeure dans l'homme, lorsqu'il a tout oublié».
Dominique Noguez
Le Nouvel Observateur - 2228 - 19/07/2007
Né en Argentine, il grandit dans l'Oural avant de rejoindre Paris. Il devient. écrivain à la Nouvelle Revue française, parcourt le monde pour «France Soir» et bâtit sa légende à force de livres éblouissants et de verres broyés entre les dents
C'est un Kessel étonnamment sobre, indifférent aux oeillades des jolies inconnues sur le pont de l'«Astu-rias», qui vogue vers Buenos Aires ce 12 août 1937. Jean Mermoz est mort huit mois plus tôt. La jeune gloire de l'Aéropostale, disparu au large de Dakar aux manettes de la «Croix-du-Sud», était son ami, son frère. Joseph Kessel, polygame sentimental, le coeur ouvert à toutes les aventures, place au plus haut la camaraderie virile et l'amitié. En guise d'adieu au disparu, il va écrire un livre. Tout au long de la traversée, on le voit sous la Voie lactée, crinière au vent, se recueillir sur cet océan que l'ami, le frère, tant de fois, a survolé.
Comme à son habitude, Joseph Kessel a vu les choses en grand. Son enquête sur Mermoz et «sa cohorte ailée» fera l'objet d'une série d'articles dans «France-Soir». La biographie sera publiée par Gallimard. Au Kessel de la fin des années 1930, au romancier de «la Steppe rouge» et de «Belle de jour», au grand reporter, auteur d'articles retentissants sur le trafic d'esclaves en mer Rouge, au prince noctambule des cabarets russes parisiens déterminé à «faire de civique jour un dimanche» et qui, au petit matin, signe en titubant des chèques en blanc pour payer la vodka et tous les verres fracassés, à cet homme-là, on ne refuse rien. Il est déjà, à l'aube de ses 40 ans, l'Homo kesselianus qu'André Chamson accueillera en ces termes en 1962 à l'Académie française. En attendant, le voici qui aborde après trois semaines de traversée la terre de Mermoz - en ce temps-là, seul le courrier franchit par avion les océans. Des journalistes l'attendent à hôtel, pressés de célébrer comme il se doit le retour au pays du «juif argentin». Car Kessel a vu le jour non loin d'ici, dans la pampa. Le 10 février 1898, à Clara, dans une colonie agricole de Mosesville, peuplée d'émigrés des ghettos de Russie, naissait Joseph-Elie. Sur les bords du Tigre, là où les eaux du Panama rejoignent celles de l'Uruguay, là où Mermoz se baignait à la saison chaude, «Jef» Kessel sait que sa famille avait embarqué un jour pour la Russie et qu'il avait failli mourir de dysenterie au cours de ce périple de 18 000 kilomètres. Au beau milieu de l'Atlantique, ni son père médecin ni l'infirmier de bord ne savaient que faire pour sauver la vie de la petite chose famélique qui dépérissait dans les bras de Raïssa, sa mère, paniquée, épuisée au sixième mois de sa deuxième grossesse. Le capitaine avait prévu de jeter le peut corps par-dessus bord.
Quarante ans plus tard, Joseph Kessel n'oublie pas qu'il doit la vie à une jeune émigrante italienne qui proposa de nourrir au sein, en même temps que son propre enfant, un bébé squelettique qu'elle ne reverrait pas. Les Kessel s'installeront donc avec leur Yossienka (petit Joseph adoré) à Orenbourg, dans l'Oural. Les premières années du garçon seront bercées par le tintinnabulement des caravanes afghanes venues se ravitailler à la maison Lesk, épicerie pour nomades impeccablement tenue par Anton, le grand-père maternel. Puis ils émigrent en France. Cette enfance errante fera de lui un vagabond intraitable.
Mais pour l'heure, l'écrivain a rejoint Marcel Reine, autre figure de l'Aéropostale, pour refaire après Mermoz la traversée de la meurtrière cordillère des Andes, «cette chevauchée de neige et déglace, cette fureur pétrifiée dans un éternel assaut». Sur un authentique vieux zinc des débuts de la ligne, un Latécoère-28, les deux pèlerins volent jusqu'en Patagonie, bravant les vents des Andes et provoquant le destin - un atterrissage forcé est souvent fatal. Quelques archanges intrépides morts pour l'Aéropostale passent dans son beau roman sur Mermoz.
Des bateaux, Kessel en a pris bien d'autres avant l'«Asturias». «A moi venaient les mers de Chine, l'océan Indien, la mer Rouge et toutes leurs escales», écrira-t-il. Embarquer le 10 novembre 1918, à 20 ans, à bord du «Président-Grant» à destination de New York, fut sa première échappée vers un glorieux destin. Ce jour-là, la France fête une victoire à laquelle l'adolescent, qui sera toute sa vie «pressé d'avoir peur», a participé de justesse: son jeune âge ne l'a pas autorisé à s'engager dans l'aviation avant 1917. Dans l'escadrille S.29 qui lui inspirera «l'Equipage», premier roman à la gloire des mess enfumés et de la fraternité d'armes, il s'est découvert une fascination pour la guerre et un «attrait morbide pour la violence élémentaire des instincts». Afin de goûter davantage encore cette drogue dure, il rejoint les volontaires du «Président-Grant» pour une improbable mission de «soutien» aux forces blanches de Sibérie mobilisées contre l'Armée rouge naissante. C'est Corto Maltese à Vladivostok. Dans une invraisemblable pagaille qui comble son désir de chaos, des soldats des quatre coins du monde se demandent ce qu'ils font là, chaque nation ayant envoyé ses représentants dans l'affolement collectif. A l'Aquarium, on trinque à la russe au bras des entraîneuses, et les verres de vodka vides explosent sur le sol. Kessel fera sienne la bizarrerie locale.
Cette guerre finie, il va en trouver d'autres. Justement, l'Irlande gronde. L'insurrection contre la Couronne d'Angleterre devient sanglante et c'est bientôt pour «la Liberté», un des grands journaux français, qu'il met le cap sur Londres. Arrêté par les Anglais pour activité terroriste, le maire de Cork, embastillé à Brixton, refuse d'être jugé par ces «étrangers». Fasciné par «la foi la plus ardente» des sinn-feiners, Joseph Kessel raconte à ses lecteurs qui sont vraiment les hommes invisibles de l'IRA. La France aimait l'écrivain, elle se passionne pour le journaliste. Dix articles, et sa réputation de grand reporter est faite. Il a 22 ans.
Un autre bateau, pour la Russie soviétique cette fois. Joseph Kessel en rapporte une série d'articles sur la face cachée du bolchevisme et la «boue sanglante» de sa police secrète, la Tcheka, qui recrute parmi les illettrés et les repris de justice. Pour «la Revue de France i>, férocement anticommuniste, il signe un article mémorable intitulé «Silhouette de la Tcheka», fusillant Trotski d'une formule: «bourreau hors cadre». «Le Caveau n° 7», une nouvelle publiée au Mercure de France, achève de discréditer un régime qui transforme en monstres des hommes qui rêvaient d'égalité. Gaston Gallimard, directeur de la maison d'édition la Nouvelle Revue française, le remarque et lui demande un roman. «La Steppe rouge» sera publié en novembre 1922, sept nouvelles glaçantes sur la banalité du mal. Si Paul Valéry admire son talent pour traduire «l'épouvante et l'angoisse tontes mies et toute la force d'une vérité actuelle et incroyable», Paulhan et Rivière regardent de haut ce moujik échevelé qui considère que le sang et la misère sont le lot de la plupart des hommes. Qu'importe, Kessel est chez lui à la NRF.
Kessel est désormais partout où l'Histoire bascule. Et quand il n'y est pas, c'est elle qui vient à lui. Elle se présente en 1926 sous les traits d'un certain Haïm Weizmann, qui, à la mort de Theodor Herzl, a repris le flambeau du sionisme mondial. Celui qui sera un jour le premier président de l'Etat d'lsraël veut entraîner à Jaffa le grand Kessel, qui n'est pas très motivé. Le sionisme? Chimère attendrissante. Rêve sans lendemain de rescapés des pogroms russes. Le plus sage, pense-t-il, est que les juifs s'intègrent dans leurs pays d'accueil. Mais la passerelle du «Champollion» à peine franchie, Kessel, d'abord meurtri par le spectacle de ces pionniers en haillons, est ému par le chant d'un rabbin. Puis la joie intranquille du sionisme le gagne quand il découvre Tel-Aviv la fragile, où des préfabriqués s'alignent et buttent au pied des dunes de sable - à vaincre elles aussi. La vallée de Jezréel, ancien marécage infecté de malaria transformé en jardin fécond, achève de conquérir un homme conscient que «le plus petit brin d'herbe vous met l'âme à l'envers».
Israël ne se fera plus sans Kessel. Jef a trouvé sa «Terre d'amour» et lui restera fidèle quand elle sera terre de feu. Pour «France- Soir» il reviendra, le 14 mai 1948. A la douane de Haïfa, un jeune garçon apposera en caractères hébraïques sur son passeport avec un tendre sourire le visa n° 1 d'un Etat qui n'a même pas un jour, événement dont il fera le récit pour le quotidien parisien dans un article de une éblouissant entré depuis dans les annales de la presse. Sa signature sera si fortement liée à «France-Soir» et à son directeur, le légendaire Pierre Lazareff, que ce dernier demandera qu'on aille débusquer «le vieux lion» dans sa retraite d'Avernes pour écrire sa nécrologie, le jour venu.
Jef Kessel, qui disposait à «France-Soir» d'un crédit illimité pour parcourir le monde, était capable de faire grimper sur son seul nom les ventes d'un numéro de 100 000 exemplaires. Mais malgré cette ahurissante popularité, il faisait volontiers une brève non signée sur un incendie de poubelle au coin de la rue. Lui qui couvrira la Seconde Guerre mondiale et écrira avec son neveu Maurice Druon «le Chant des partisans»; lui qui à Londres promettra à de Gaulle un grand livre sur «l'Armée des ombres» ne sombra pas dans l'arrogance - sans doute s'adressait-il trop de reproches pour être vaniteux.
Car l'auteur du «Lion», livre vingt fois réédité en cinquante ans, perçu comme un demi-dieu, était miné par de puissants remords. Jamais il se s'est pardonné de n'avoir pas senti le désarroi de son jeune frère, Lazare, mort suicidé l'année de ses 20 ans, ni d'avoir trouvé sa mère mourante, boulevard Brune, l'hiver 1956, alors qu'il rentrait d'un interminable périple afghan. Rassemblant ses dernières forces, Raïssa Kessel s'était accrochée à la vie dans l'unique espoir d'embrasser une dernière fois l'éternel absent. Ce souvenir-là aussi brouillerait plus d'une fois ses yeux gris. Mais son tourment le plus lancinant fut d'avoir négligé Sandi, son premier grand amour, son coup de foudre en mer de Chine, sur un bateau, encore, que les amis du couple appelaient parfois «la sainte», tant elle pardonnait tout à son chien fou de mari, ses absences et ses nuits dans d'autres alcôves. De son vrai nom Nadia-Alexandra Polizu-Michsunesti, Sandi la Roumaine fut toute sa courte vie subjuguée par son Jef et accepta les sacrifices qu'exigeait l'amour pour un homme qui s'était juré de ne jamais rien se refuser.
Kessel aima passionnément sa «Sandinette» jusqu'à embrasser chaque soir un petit portrait d'elle soigneusement glissé dans ses bagages aux heures du départ. Mais au cours des longs mois où Sandi s'éteindra lentement au sanatorium de Davos, son héros préférera souvent aux visites à la malade les nuits tsiganes du Caveau caucasien ou l'oubli de soi dans une guerre lointaine. Les regrets seront terribles. Trente ans plus tard, il verra dans la déchéance alcoolisée de son autre amour, sa femme, la tumultueuse Michèle, la punition de tous ces manquements. Et nul ne sait s'il fit le lien entre le désespoir inguérissable de la belle Irlandaise et le refus de son mari de; lui donner ce qu'elle désirait de toute son âme: un enfant.
Superstitieux - pas un voyage sans prononcer le salvateur «Dobri tchass zbogom»«Que l'heure soit favorable et que Dieu nous protège.» , persuadé que tout bonheur se paie d'un chagrin et chaque rire d'une larme, il puisera dans tous ses remords d'admirables pages du «Tour du malheur», le plus tolstoïen de ses livres. Son ami Yves Courrière parlera du «vide affreux de son mie qu'il devait remplir à tout prix». Pour s'étourdir à ce point, il lui fallait bien trois patries.
Attaché à la France qui l'avait sauvé, puis à Israël qu'il fallait aider à vivre, Kessel sera ensorcelé par l'Afghanistan, découvert sur le tard. Avec une énergie intacte, à peine altérée par soixante ans de cavale et d'embardées alcoolisées, il s'enfonce jusqu'aux confins russo-afghans pour en humer les parfums, si proches de l'Oural de son enfance. C'est par l'image que cet écrivain décide de faire aimer cette terre encore inconnue. Cette fois encore, il voit grand et rêve d'un film. Il a déjà le titre: «la Passe du diable». Derrière la caméra, le jeune chef opérateur débutant s'appelle Pierre Schoendoerffer. Un jeu cruel, le bouzkachi, où les meilleurs cavaliers du pays se disputent avec sauvagerie la dépouille d'un bouc remplie d'eau et de sable, sert de prétexte à montrer du pays. A la tombée de la nuit, l'équipe de jeunes cinéastes découvre avec stupéfaction l'attaché-case usé de Kessel: un bar miniature dont l'académicien fait un usage immodéré, devant les «frères» afghans scandalisés. Car Kessel fut toute sa vie un bad boy incontrôlable, qui broyait ses verres de vodka avec les dents dans toutes les tavernes du monde comme dans les très sélectes réceptions chez Gallimard, devant la femme de Gaston tétanisée par ce Capitaine Fracasse - c'est ainsi qu'on l'appelait du côté de Montmartre - en train de croquer le cristal familial avec aplomb.
«La Passe du diable» fut occulté par la guerre d'Algérie. En revanche, «les Cavaliers» fut salué comme un chef d'oeuvre, ce qui lui vaudra lors d'un retour à Kaboul une standing ovation des moudjahidin reconnaissants. L'écrivain glissa son testament d'homme et de voyageur dans cette bible ethnologique, qui continue d'influencer les grands reporters de la presse écrite à l'heure du bouquet satellite et des tour-opérateurs. Mais cette passion afghane, qui remplirait à elle seule la vie d'un honnête homme, fut presque un détail dans l'existence de ce géant hyperactif. Il faudra d'ailleurs à son amiYves Courrière, qui fit pour Kessel ce que Kessel avait fait pour Mermoz, pas moins de mille pages intenses pour faire le tour de l'Homo kesselianus.
«Le Tour du malheur», tomes 1 et 2 Folio
«Mermoz», Folio.«Les Coeurs purs», Folio
«Nuits de prince», Folio«Le Lion», Folio
«La Passante du Sans-Souci», Folio.
«Le Petit Ane blanc», Folio
«Les Cavaliers», Folio.
«Terre d'amour et de feu», 10/18.
«Joseph Kessel ou Sur la piste du lion», par Yves Courrière, Plon.
«Kessel. Le nomade éternel», par Olivier Weber, Arthaud.
Né en 1898 à Clara, dans la pampa argentine, Joseph Kessel fut grand reporter pour "France-Soir". Il est l'auteur d'une soixantaine de romans, de nouvelles et de récits. En 1962, il est élu à l'Académie française au siège du Duc de la Force. Il meurt en juillet 1979 devant le journal télévisé, après avoir allumé sa dernière cigarette.
Anne Crignon
Le Nouvel Observateur - 2229 - 26/07/2007
Entrez dans le monde de Dickens !
L'écrivain y a vécu : c'est donc à Chatham que vient de s'ouvrir un grand parc consacré à l'auteur d' « Oliver Twist ». Tout y est du Londres misérable du XIX e siècle, catins et pickpockets compris. Visite guidée
Il pleut sur Chatham, ville peu riante du Kent à quarante minutes de train de Londres, où l'écrivain anglais le plus connu après Shakespeare a passé les premières et les dernières années de sa vie. La navette pour les docks n'est pas bien signalée. Mais enfin voici Dickens World, annoncé en lettres blanches sur fond bleu étoilé, un parc d'attractions consacré à l'univers de l'auteur d' « Oliver Twist ».
On vous promet une plongée dans le ventre fangeux de l'Angleterre du début du XIX e, ses égouts, ses odeurs et ses rats. Dans le train, pendant que défilait un paysage de cataclysme postindustriel fait d'usines désaffectées, on s'était pris à rêver d'un Zola World, avec descente aux enfers sponsorisée par Gervais ( e ) ou d'un Hugo Land avec sa parade de misérables et son train fantôme où les Thénardier feraient peur aux enfants. « A partir de ce point, plus que trois heures d'attente » : la première semaine, victime de son succès, Dickens World, inauguré en mai dernier, a refusé du monde et à la Pentecôte, particulièrement humide, 15 000 personnes y ont trouvé refuge.
A priori, rien de franchement de mauvais goût ne nous attend : Dickens World a reçu l'approbation de la vénérable Dickens Fellowship ( fondée en 1902, 6 000 membres dans le monde ). Thelma Grove, ancienne secrétaire générale, a suivi le projet comme consultante. « Des descendants de Dickens m'ont appelée un jour, effrayés par ce qui se tramait ; j'ai participé aux réunions et j'ai été agréablement surprise » , raconte cette orthophoniste à la retraite. L'idée de ressusciter le Londres miséreux de l'ère victorienne est née dans les années 1970 dans la tête de Gerry O'Sullivan Beare, un concepteur de parcs à thèmes qui s'est battu pendant trente ans pour lever des fonds. Il est mort l'année dernière, avant l'inauguration. En 2005, grâce à Kevin Christie, un homme d'affaires spécialisé dans le cinéma, ont été enfin réunis les 500 financiers privés et les quelque 91 millions d'euros nécessaires à la création de ce complexe de loisirs de 12 000 m 2, qui englobe un parking, des restaurants et un multiplexe.
Dans la pénombre, on distingue d'abord des maisons décrépies et, sous les réverbères, une place de quartier sordide, avec son usurier et son épicerie. On guette les rongeurs, mais de mauvaises odeurs, point. Une affiche jaunie détaille la ration quotidienne des cachots de Marshalsea, la prison londonienne où John Dickens, le père de Charles, qui travaillait au bureau de la paie sur les docks, fut emprisonné pour dettes. A 12 ans, Charles Dickens trimait déjà à la Warren's Blacking Factory, dont la façade glauque est reconstituée à l'entrée. Des journées à coller des étiquettes sur des pots de cirage pour 6 shillings par semaine : l'expérience changera définitivement sa vision du monde.
Faquins, prostituées, chasseurs de rats, tous les personnages dickensiens sont là. A peine a-t-on posé le pied dans ces ruelles sombres qu'un certain Bill, pickpocket en haillons, vous subtilise votre carnet de notes. C'est l'un des 60 employés qui paradent en costume pour 6 livres de l'heure. Mike, le maître de la sévère pension Dotheboys, coiffe d'un bonnet d'âne les élèves-visiteurs qui ne gagnent pas assez de « Dickens points » au quiz. Derrière leurs pupitres en bois à écrans tactiles, les cancres rigolent... Tony, un autre employé portant beau avec son haut de forme, un amoureux de Dickens, a trouvé là un moyen agréable d'arrondir sa retraite. « Mettez-vous bien à l'avant , sinon vous ressortirez trempés ! » , prévient Tony. C'est par les soupiraux reconstitués de Marshalsea que commence l'attraction phare de Dickens World, « la Croisière des Grandes Espérances. », une quinzaine de minutes en bateau, des égouts douteux - un colorant marron, nous assure-t-on - jusqu'aux toits de la ville, traversée du cimetière comprise. « Aujourd'hui , tout est loisirs ! », s'enthousiasme Kevin Christie, le patron de Dickens World. Il espère atteindre les 300 000 visiteurs par an et attend d'ailleurs un coup de pouce décisif du passage dans quelques jours du Tour de France à deux pas d'ici.
« Cela mettra notre région , qui en a besoin, sur la carte du monde » , se réjouit aussi Louise Dale, une infirmière. D'autres se montrent plus circonspects et craignent la saturation de ce coin du sud-est de l'Angleterre où l'on ne compte plus les références à l'auteur. « On a déjà un Dickens World : c'est Rochester ! » Chaque année, en juin, un festival y voit parader les dickensophiles, venus parfois d'Australie, du Japon ou d'Amérique un pays fou de l'écrivain : 60 % des visiteurs du Musée Dickens ( 1 ) de Londres sont américains.
A l'étage, un film retrace l'épopée américaine de Charles, à qui l'acteur Gerald Dickens, l'arrière-arrièrearrière-petit-fils, prête sa voix. C'est le moment pédagogique de Dickens World, l'occasion d'apprendre, mais toujours en s'amusant ( la tête d'un condamné à mort vous arrive en pleine figure ...).« On a une idée fausse de Dickens ; on en fait quelqu'un de plus sérieux et intellectuel qu'il n'était . Il écrivait pour tous, était lu par tous, y compris les enfants . C'était une personnalité flamboyante, un showman plein d'humour » , explique l'écrivain Lucinda Hawksley, la cousine de Gerald.
Dans le « Monde de Dickens », tout n'est pas parfait. Des techniciens vont et viennent, le bruit des perceuses couvre parfois la voix des apparitions dans la maison hantée où, devant un hologramme de chaise vide, les Mitchell attendent en vain que le fantôme veuille bien se montrer. Et le Britannia Theatre, un show de personnages mécaniques, n'est toujours pas opérationnel. « Les actionnaires ont mis la pression pour que l'on ouvre le 25 mai » , souffle une employée. « C'est un work in progress , concède Kevin Christie. On n'a jamais dit qu'on serait aussi spectaculaire qu'un Disneyland ; on n'a jamais promis qu'on serait aussi instructif qu'un musée . » L'ambition ici ? « S'amuser en acquérant quelques connaissances. » Le risque ? Décevoir l'amateur de sensations fortes et énerver le puriste.
Dans son bureau à Londres, Andrew Xavier, le jeune directeur du Musée Dickens, se montre conciliant : « Tout ce qui peut contribuer à diffuser la vie et l'oeuvre de Dickens auprès des jeunes générations , qui, en juillet, vont se précipiter sur le dernier Harry Potter , est le bienvenu. »
« Dickens ? Bien sûr , j'ai vu tous ses films » , assure Billy, élève d'Ashford. On lui dédie ce mini-scoop : Robert Zemeckis, le réalisateur de « Roger Rabbit », prépare une adaptation du « Conte de Noël ». Que Hollywood vole au secours de Dickens, ça tombe bien : on annonce l'ouverture en 2009 d'un parc Harry Potter à Orlando, en Floride.
( 1 ) 48, Doughty Street, dans le quartier de Bloomsbury.
Dickens World :
Leviathan Way, Chatham Maritime,
dans le Kent. Renseignements : www.dickensworld.co.uk.
Pour y aller :
Trains pour Chatham à partir de Victoria Station, Charing Cross et London Bridge. Entrée : 12,50 livres pour les adultes ; 7,50 livres pour les enfants.
Marie-Hélène Martin
Le Nouvel Observateur - 2226 - 05/07/2007
Source:http://artsetspectacles.nouvelobs.com/p2226/a349248.html
Publié le 20 juillet 2007
Actualisé le 20 juillet 2007 : 08h08
Bernard Pivot : « Avant, j'étais un peu désinvolte, parce que je comptais sur ma mémoire, là, je ne le pouvais plus. Il fallait que je bosse vraiment et que je m'applique. »Delort/Le Figaro.
« JE NE VOUS AURAIS jamais reconnu et pourtant vous dites que nous nous sommes rencontrés de nombreuses fois ? », lâche Bernard Pivot qui nous reçoit dans l'appartement où il vient d'emménager dans le XVIIe arrondissement. « J'ai présenté»Apostrophes* pendant quinze ans et les gens sont persuadés que j'ai une mémoire phénoménale, mais je n'en ai pas du tout ! » Celui qu'on surnomme « le roi Lire » a hésité à évoquer un autre regret : celui de ne pas s'être assez souvent mis en colère.
« J'ai toujours été une victime un peu souriante de ma mauvaise mémoire. Elle fonctionne très bien dans l'actualité, le moment, l'urgence et la fraîcheur. Après la lecture d'un livre par exemple, je peux retrouver pendant une huitaine de jours la page où telle phrase a été écrite. Quand j'animais une émission littéraire, je pouvais ainsi, avec une précision souvent redoutée des auteurs, retrouver tel passage dans tel ouvrage. Cela m'a toujours amusé de voir que les gens étaient impressionnés et croyaient que j'avais une mémoire extraordinaire. Mais au bout d'un moment, tous ces sentiments, ces images, nés de la lecture, disparaissent de mon esprit. »
L'explication remonte à l'enfance du journaliste. « Après la guerre, j'ai eu ce qu'on appelle une primo-infection, la première attaque de la tuberculose. Ce n'était pas très grave, mais à ma stupéfaction, quand je suis revenu, je me suis aperçu que je n'avais plus la même mémoire. D'un seul coup, je me suis mis à peiner pour apprendre par coeur les fables de La Fontaine. Avant, j'étais un peu désinvolte, parce que je comptais sur ma mémoire, là, je ne le pouvais plus. Il fallait que je bosse vraiment et que je m'applique. »
Le petit Bernard a grandi et est devenu le pape de la langue de Molière, l'animateur d'émissions mythiques comme « Apostrophes » (724 numéros) et « Bouillon de culture », qui lui ont donné la réputation de quelqu'un doué d'une mémoire hors du commun ! Depuis 2004, il est membre de la prestigieuse Académie Goncourt et ne craint pas de se comparer aux personnalités qu'il côtoie : « François Nourissier, Jorge Semprun, Françoise Chandernagor, Robert Sabatier ont tous une mémoire extraordinaire. Robert Sabatier peut vous réciter 2 000 ou 3 000 vers à la suite. Mon ami Philippe Meyer connaît, quant à lui, des centaines, des milliers de chansons sur le bout des doigts. Jean d'Ormesson, lui aussi, sort des citations comme moi je sortirais des chaussettes du tiroir de ma penderie. » Au quotidien, ce défaut joue des tours à l'ex-animateur. « Dans les articles ou les livres que j'écris, dès que je fais une citation, il faut que j'aille la vérifier parce que, deux fois sur trois, je commets une erreur. Parfois, ce problème a un avantage, il m'évite de tomber dans une sorte de facilité, de commencer un article par une citation, par exemple. »
Quand on tente de rassurer Bernard Pivot - « Vous ne me reconnaissez pas, ce n'est pas grave » -, il répond qu'il en éprouve de la tristesse. Et se remémore (oui) des anecdotes savoureuses : « Un dimanche soir, sur l'aéroport d'Heathrow, à Londres - c'était du temps d'»Apostrophes* -, je vois un monsieur qui vient vers moi et me tend la main. Je me rends compte que je le connais, mais suis incapable de me rappeler qui il est. Il me demande : « Vous ne me remettez pas ? ». Je réponds « Non. » Il me dit : « Mais j'étais votre invité vendredi soir sur le plateau d'»Apostrophes*. »
L'homme a évidemment appris à vivre avec son « handicap » : « Depuis une quinzaine d'années, je préviens les personnes que je rencontre que je ne les reconnaîtrai pas quand je les reverrai. Cela m'a donné mauvaise réputation. On croit que c'est du dédain, de l'orgueil. À la fin d'»Apostrophes* et de»Bouillon de culture*, nous avions l'habitude de rencontrer les invités. Anne-Marie Bourgnon, mon assistante, était toujours derrière moi pour me dire : « Attention, à gauche, c'est un tel, à droite, tel autre... ». En plus, après une émission, vous êtes un peu sonné et je reconnaissais encore moins les participants. Anne-Marie m'évitait de faire des gaffes, mais combien de fois j'ai blessé des gens à cause de ma mémoire défaillante, poreuse. J'oublie la vie tranquille, tout ce qui n'est pas marquant dans la joie ou le chagrin. C'est comme une infirmité. Avec l'âge, cela ne faut qu'empirer ! »
À la fin de l'entretien, l'auteur du Dictionnaire amoureux du vin (Plon) se lève pour saluer et se précipite soudain sur un appareil photo : « Je vais vous prendre comme cela, je ne vous oublierai pas ! »
Source:http://www.lefigaro.fr/reportage/20070720.FIG000000148_mon_seul_regret.html
Le livre culte de la littérature du voyage possède un nom, "L'Usage du Monde", et un auteur, Nicolas Bouvier. Dans "Indigo Street", les photos font écho aux phrases de l'écrivain, qui concentrent l'esprit du voyage.
Nicolas Bouvier, le Suisse errant
De Genève à Tokyo en passant par Ispahan, et de pannes de voiture en petits boulots, il sut oublier livres et horloges pour se laisser porter par les hasards de la route. Portrait un usager du monde et styliste admirable
Dans les récits de Nicolas Bouvier passent parfois d'indomptables Américaines à chapeaux et caméras, de « l'espèce qui digère en une journée une douzaine de temples et une ou deux résidences impériales sans même sentir leur estomac ». Des Françaises en gants de fil, chagrines de ne s'être pas vu livrer, en même temps que leurs billets d'avion, « l'âme du Japon ». Des touristes en longues files résignées, attendant qu'un guide les « conduise au paysage », récriminants et dociles, pleins de mépris pour les autochtones, qui le leur rendent amplement. A ces activistes péremptoires et fébriles, Nicolas Bouvier a constamment opposé sa philosophie du voyage, édifiée sur les quatre piliers de l'ignorance, de la lenteur, du dénuement, de la fatigue.
Mona Ozouf
Le Nouvel Observateur - 2228 - 19/07/2007
http://artsetspectacles.nouvelobs.com/p2228/a350322.html

Scarlett Coten pour Le Figaro
MOHAMMED AÏSSAOUI. Publié le 19 juillet 2007Actualisé le 19 juillet 2007 : 08h22
Chaque jour, une personnalité du monde de la politique, des arts, du sport et de l'économie se confie. Aujourd'hui, la romancière Régine Deforges.
UNE SECONDE à peine. Régine Deforges n'a pas eu à réfléchir bien longtemps quand on lui a demandé quel était son seul regret. Dès la question posée, elle lance : « Ce petit copain que j'ai laissé sur le bord de la route. » Puis, elle enchaîne, comme si elle avait trop retenu ses mots, l'émotion étant perceptible dans sa voix : « J'avais six ans. Nous étions en vacances à Peyrac (dans le Lot). J'avais proposé à ce garçon de faire une excursion avec nous au gouffre du Padirac. Il est venu. Mais il n'a pas pu monter avec nous dans la voiture qui nous emmenait - il y avait trop de monde dans le véhicule. J'aurais voulu qu'il monte avec nous, mais ce n'était pas possible. » C'était en 1942 ou 1943. L'auteur de La Bicyclette bleue ajoute : « Je ne l'ai plus jamais revu. Je n'aurais sans doute pas eu de regret s'il n'avait pas été juif et appartenu à une famille de réfugiés. »
L'étonnant est que, plus de soixante-quatre ans après, elle se souvienne avec autant de précision de cette promesse non tenue. Cela arrive à tout le monde ; et les enfants ont tendance à vite oublier. On a beau lui rétorquer qu'elle n'y était pour rien, elle insiste : « C'est plus qu'un regret, c'est un remords, un sentiment d'abandon, de trahison. » De plus, ce petit garçon n'était pas abandonné, il vivait, réfugié, avec sa grand-mère à Peyrac (qui, elle, n'était pas juive). Et une fille de six ans pouvait-elle s'imaginer ce qui se passait en France et en Europe et sentir à ce point le poids de la culpabilité ? « Oui, même à cet âge-là, même à cette période-là, on avait conscience de ce qui se tramait. D'autant que, lorsque mes parents recevaient des amis juifs chez eux, ils nous disaient « ne dites pas que tel ou tel est venu chez nous ». » On sentait qu'il se passait « quelque chose ».
Si elle ne souvient pas bien de l'année (1942 ou 1943), Régine Deforges raconte aujourd'hui la scène dans les moindres détails : « C'était l'été. Il faisait très beau. Il s'appelait Clovis, il était blond, en habits de dimanche, très bien coiffé, la raie soigneusement mise. Il devait avoir deux ou trois ans de plus que moi. » Elle se rappelle parfaitement avoir insisté pour que ses parents emmènent le garçon avec elle, lui aussi voulant rejoindre la voiture - un moyen de transport rare à l'époque. Sa mère avait même dû descendre pour expliquer au petit que ce n'était pas possible. « Maman s'est alors approchée de lui et lui a dit qu'elle ne pouvait pas l'emmener. Trop de monde dans la voiture : il y avait des adultes, ma soeur et moi. » L'automobile est partie sans le petit garçon : « Je n'ai pas cessé de me retourner, je voyais sa silhouette disparaître petit à petit. Cet épisode m'a bouleversée », dit-elle.
Ces souvenirs lui restent fixés à jamais, comme une photo. En fait, ce qui a blessé l'auteur de Noir tango, c'est davantage ce décalage entre un moment de bien-être promis à ce garçon qu'elle ne connaissait pas et le fait de devoir le laisser tout seul avec sa tristesse. « Depuis, je me méfie de mes enthousiasmes », explique cette mère de trois enfants. Du coup quand elle propose quelque chose de sympathique à des amis, il lui reste toujours un fond d'inquiétude. L'angoisse du bonheur.
Il y a une quinzaine d'années, elle a parlé de Clovis lors d'une émission télévisée dans l'espoir de le retrouver. Quand elle a commencé à l'évoquer, l'auteur du Diable en rit encore n'avait pu retenir ses larmes... Cette collectionneuse de romans noirs est également retournée à plusieurs reprises à Peyrac, à la recherche du moindre indice qui aurait pu la mettre sur la trace de Clovis - elle ne connaissait de lui que ce prénom. Au village, personne ne se souvient de ce petit garçon. La maison de sa grand-mère est à l'abandon.
Elle en a fait du chemin, depuis 1942 ou 1943, la petite Régine. Libraire, éditrice remarquée, romancière populaire, auteur d'une des plus grandes sagas de l'édition française, membre d'un jury littéraire prestigieux (dont elle a démissionné avec fracas), présidente de la Société des gens de lettres, chargée de mission auprès du ministre de la Culture... Tous ces titres ne lui font pourtant pas oublier l'épisode de ce petit garçon privé d'excursion au gouffre de Padirac.
Aujourd'hui, Clovis devrait avoir plus de soixante-dix ans. Et s'il se reconnaissait dans cette histoire, et lui faisait signe ? « Oh ! oui. Ce serait un merveilleux cadeau. Je pourrais lui demander pardon. »
Source:http://www.lefigaro.fr/reportage/20070719.FIG000000146_mon_seul_regret.html
Genre littéraire aux contours mal définis, l'échange épistolaire nous renseigne sur l'écrivain, ses petits travers et ses grands soucis. Mais il permet aussi de donner un éclairage à une oeuvre et d'entrer dans l'intime d'une pensée et d'une création.
Faut-il lire la correspondance de ses écrivains de prédilection? A quoi bon s'attacher à des textes qui, pour la plupart d'entre eux, ne sont pas destinés à être lus comme des textes littéraires? Est-il utile, pour apprécier La comédie humaine, de pénétrer dans l'intimité de l'homme Balzac, de le voir quotidiennement obsédé par les questions d'argent? Pourtant auteur de l'une des plus intéressantes correspondances d'écrivains, Flaubert en doute. Tandis qu'il achève la lecture de la correspondance de Balzac, qui venait alors de paraître (1876), il ne cache pas sa déception à sa nièce Caroline: «Comme il s'inquiète peu de l'Art! [...] que d'étroitesses! légitimiste, catholique [...] rêvant de la députation [...]. Avec tout cela ignorant comme un pot et provincial jusque dans les moelles: le luxe l'épate.» La correspondance des écrivains n'est-elle donc que de la «paralittérature», riche, au mieux, de copeaux d'oe; uvres qui, seules, méritent de retenir l'attention? De «l'hypertexte privé», comme l'enseignent, dans leur jargon savant, nos universitaires? Et peut-on mettre sur un même plan les correspondances qui relèvent du «gribouillage imbécile» et de «l'inondation du bavardage humain» (Barbey d'Aurevilly), et celles qui, telles certaines lettres de Flaubert, fourmillent d'indications précieuses sur les sentiments profonds de l'homme ou sur les intentions de l'écrivain au moment de la gestation de ses oe; uvres?
Le paradoxe de l'épistolier
«Le meilleur de nous n'est pas destiné au papier à lettres», affirmait sans ambages Mallarmé qui admettait «crayonner» ses lettres «le plus salement possible pour en dégoûter [ses] amis». Pour celui qui professe que «le monde est fait pour aboutir à un beau livre1», on n'est écrivain que lorsqu'on fait oe; uvre littéraire. Le sacerdoce de l'homme de lettres exige de ne pas mêler l'eau pure de la littérature à l'eau trouble des missives qui charrient pêle-mêle les alluvions de l' «universel reportage» et les confidences privées. Mais aux yeux du plus grand nombre, un écrivain ne cesse pas forcément de l'être lorsque, au lieu d'écrire pour la postérité, il s'adresse à ses contemporains. Il y a cependant une différence notable de situation entre l'écrivain et l'auteur de lettres. Amis, rivaux, parents, amants, créanciers, éditeurs, critiques, hommes politiques, etc., les destinataires d'une correspondance ont ceci de particulier qu'ils peuvent exercer une influence sur la vie de l'écrivain, ce qui n'est pas sans effet sur la manière dont il leur exprime (ou leur dissimule) sa pensée. C'est cette situation paradoxale de l'écrivain épistolier qui confère à la lettre son statut d'objet singulier dans le monde des Lettres. Il y a certes des lettres qui tiennent du monologue ou qui s'apparentent au journal intime, faisant parfois office de journal de bord de l'oe; uvre littéraire. Ces lettres peuvent être lues en faisant abstraction du contexte de leur rédaction et sans le secours de présentation critique, le destinataire y est d'ailleurs réduit au rang de simple faire-valoir. Mais, dans l'ensemble très varié de la correspondance des écrivains, ces lettres forment plutôt l'exception que la règle.
Le genre épistolaire est à vrai dire un genre protéiforme, et la lettre, un objet difficilement identifiable du point de vue littéraire. Longues missives ou courts billets, les lettres sont privées ou publiques, confidentielles ou ouvertes, censées exprimer l'intime ou destinées à exercer une action sur le monde, fagotées à sauts et gambades ou rédigées dans les règles de l'art. «Chose si multiple, et variant presque à l'infini2», lit-on chez Erasme, qui fut un grand épistolier, qu'on n'a pas fini d'en recenser les formes. La correspondance dépend en plus des aléas de sa transmission, du choix des éditeurs et, parfois, des nécessités matérielles. Ces parerga, ces «hors oe; uvre», que sont les lettres d'écrivains, se présentent ainsi souvent en extraits, dans des morceaux choisis, sans les réponses des destinataires, à sens unique pour ainsi dire. Il est vrai que personne, à part les éditeurs de ces correspondances, quelques spécialistes, érudits ou monomaniaques, ne se lancerait dans la lecture suivie de la volumineuse correspondance de Voltaire ou de Proust. Il faut l'admettre: les correspondances d'écrivains ne sont pas des oe; uvres aux contours bien délimités. Elles sont même rarement complètes. Il n'est pas rare qu'en cours d'édition, ayant retrouvé un document ou après avoir obtenu des ayants droit de l'écrivain qu'ils acceptent de publier des lettres jusqu'alors soustraites à la connaissance du public, les éditeurs de «correspondances» les incluent en cours de route dans des volumes additionnels ou des suppléments. La correspondance acquiert ainsi un statut de work in progress: avec le temps, au gré des éditions, les correspondances d'écrivains se décantent et tendent ainsi à devenir d'authentiques oe; uvres littéraires.
«J'ai de quoi faire durer les noms que je mène avec moi!»
Il s'en faut que la lettre soit une pratique récente. Il y a toujours eu des correspondances à portée, sinon à valeur, littéraire. Des lettres (probablement apocryphes) évoquaient les ennuis de Platon lors de ses séjours auprès des tyrans de Syracuse; des lettres résument l'essentiel de la doctrine d'Epicure. C'est aussi dans une correspondance que Sénèque prodigue à Lucilius ses conseils sur la manière de mener une vie conforme à la vertu. Une partie de la doctrine du Nouveau Testament est transmise sous formes d'épîtres, dont Paul, Pierre, Jacques ou Jude sont les auteurs supposés. Lettres encore (peut-être inauthentiques, certains spécialistes y voient la plume de Jean de Meung), le récit des amours malheureuses d'Héloïse et d'Abélard. Elles forment même, selon Denis de Rougemont, le «premier grand roman d'amour passion» de notre littérature. La pratique épistolaire est aussi ancienne que l'activité littéraire. Il arrive parfois que l'épistolier prenne conscience, chemin faisant, de la valeur littéraire de ses lettres. En décidant de publier leur correspondance, et d'écrire pour la postérité, Sénèque fait miroiter à Lucilius une gloire posthume: «Ce qu'Epicure a pu promettre à son ami, je le promets à toi, Lucilius. J'aurais crédit chez la postérité; j'ai de quoi faire durer les noms que je mène avec moi!» (lettre 21). Fatuité? Orgueil? En tout cas, Lucilius, qui ne semble pas avoir été un personnage de second ordre, se prend au jeu au point de reprocher à Sénèque son style relâché (lettre 75). Sénèque lui répond qu'il tient à ce que ses lettres soient écrites «sans rien de recherché, ni d'artificiel», pour donner le change, comme si le tiers lecteur devait surprendre les protagonistes de la correspondance en train de converser «en tête-à-tête, paresseusement assis ou à la promenade» (ibid.). On pourra légitimement soupçonner toute correspondance destinée à la publication d'être, comme celle de Sénèque, un peu factice, et la spontanéité de l'épistolier, tributaire des astuces de l'écrivain. Nombre de «lettres» ont ainsi été écrites, par-delà leur destinataire déclaré, pour d'autres lecteurs. Paradoxalement, le mode de l'adresse personnelle permet de toucher le plus grand nombre. Que la lettre ait été, avec le sermon, le genre littéraire dominant au Moyen Age n'est donc qu'un paradoxe apparent: ces deux formes d'expression sont en fait complémentaires et répondent à des codes d'écriture assez contraignants.
Une affaire de femmes?
Un autre poncif veut que la correspondance soit un genre d'écriture féminin. On sait qu'à l'âge classique on répugne à s'étendre sur le «moi haïssable». L'esprit, quand il s'attarde sur soi, est toujours un peu la dupe des sentiments, et la pudeur et la bienséance s'opposent à l'étalage des intermittences du coe; ur. Les correspondances privées sont ainsi perçues comme un genre d'écrit spécifiquement féminin, genre secondaire, où l'esprit de spontanéité et la délicatesse naturelle des femmes trouvent un espace propice à leur épanouissement. Le jugement de La Bruyère fait alors autorité: «Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche» (Les caractères). Un préjugé tenace: «Genre épistolaire: genre exclusivement réservé aux femmes», écrit encore Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues. Les lettres de Mme de Sévigné forment, il est vrai, l'archétype de l'écriture privée devenue littérature. Mais si Mme de Sévigné accède à la gloire littéraire en tant qu'épistolière - ses lettres étaient lues en petit comité d'ami(e) s - la correspondance demeure en fait une pratique essentiellement masculine. Voiture, Guez de Balzac et Chapelain doivent leur (relative) consécration littéraire à l'édition de leur correspondance. Et qui veut connaître le fond de la pensée cartésienne en matière de morale se doit de lire les lettres de Descartes à la princesse Elisabeth. Le même Descartes avait d'ailleurs bien conscience de l'importance de sa correspondance «privée». Pour la diffusion de sa pensée, son ami, le père Marin Mersenne, faisait ainsi à la fois figure de correspondant privilégié, de «boîte aux lettres» et d'attaché de presse avant la lettre. Les provinciales, dans un tout autre registre il est vrai, participent aussi du genre épistolaire: on ne saurait donc cantonner la correspondance à l'expression des sentiments délicats, encore moins en faire un genre proprement féminin.
Le roman épistolaire et l'âge d'or de la correspondance
Plus soutenable, l'idée que la correspondance offre à l'écrivain un espace d'expression de ses sentiments plus authentique, plus libre. Et sans doute n'est-ce pas un hasard si le siècle des Lumières, qui voit réhabiliter l'expression littéraire des sentiments privés - le «charmant projet» qu'a eu Montaigne de se peindre, écrit Voltaire en réponse à Pascal - est aussi celui de l'âge d'or de la correspondance littéraire. Les lettres des uns et des autres sont lues dans les salons. L'un des signes notables du phénomène est le développement d'une mode, ou plutôt d'un procédé nouveau: le roman épistolaire. A l'origine de cette mode: le succès des Lettres portugaises, attribuées à une religieuse portugaise, parues anonymement en 1669 et dont l'auteur, Guilleragues, n'était ni religieuse ni portugaise. La fiction épistolaire connaît alors sa moisson de chefs-d'oe; uvre, avec les Lettres persanes (1721) de Montesquieu, les Lettres philosophiques (1734) de Voltaire, plus tard La nouvelle Héloïse (1761) de J.-J. Rousseau ou Les liaisons dangereuses (1782) de Choderlos de Laclos. Cette littérature épistolaire ne relève bien sûr pas stricto sensu de la correspondance d'écrivains, mais, par une sorte d'effet de miroir, elle atteste l'estime dans laquelle est désormais tenue la forme de la lettre. La mode du roman par lettres a passé, mais la lettre, comme mode privilégié d'expression des sentiments intimes, a fait son entrée en littérature et, à partir de l'époque romantique, elle devient complémentaire du journal intime. Les écrivains prennent à témoin certains de leurs correspondants des tâtonnements et des impasses de leur création. Lorsque l'échange se fait entre deux écrivains dont les options esthétiques sont divergentes, cela donne au lecteur le sentiment qu'ils s'écrivent sans jamais correspondre, comme c'est le cas entre Gide et Valéry.
Une écriture pour autrui équivoque
La lettre permet à l'écrivain de s'adresser à autrui hors de sa présence, à l'abri de ses réactions immédiates. Cette distance est même, assez fréquemment, condition de la proximité. Quand on lit la correspondance de Flaubert, on sent qu'entre Louise Colet et lui il n'y a de proximité possible qu'à raison de la distance qui sépare Croisset de Paris. Mais la proximité ne veut pas dire toujours sincérité. On peut ainsi présumer que les plaintes de Flaubert accouchant de Madame Bovary avaient aussi pour but de tenir éloignée Louise Colet. Le jeu équivoque dont elle était le témoin privilégié prend fin avec une lettre de rupture qui est un modèle de sécheresse et de muflerie masculines. Les amours impossibles de Kafka se déploient aussi au rythme de correspondances où l'élue du moment n'est vraiment présente qu'à partir du moment où l'écrivain est seul et qu'il peut enfin jouir de la présence imaginée de l'autre: «Voilà, chérie, les portes sont fermées, c'est le silence et je suis de nouveau auprès de toi» (15-16 décembre 1912 à Felice Bauer). La correspondance est donc une «écriture pour autrui» paradoxale, nous informant de la psychologie des écrivains autant sinon plus que l'écriture autobiographique, consignée dans les Mémoires ou les journaux intimes.
Petits et grands travers des écrivains
Faut-il d'ailleurs croire les écrivains lorsqu'ils écrivent à leurs contemporains? Ils ne sont pas nécessairement plus sincères dans leurs correspondances que dans leurs oe; uvres ou dans leurs écrits autobiographiques. La lecture attentive des correspondances va parfois à l'encontre des images d'Epinal qui font de nos écrivains des princes désintéressés de la littérature. Il y a des correspondances qui trahissent leurs auteurs, qui nous les montrent ordinaires, humainement médiocres, mesquins, menteurs, calomniateurs voire délateurs. On songe aux échanges de lettres que ces beaux messieurs les philosophes (Hume, Grimm, Voltaire, d'Holbach, etc.) s'écrivent pour discréditer le malheureux Rousseau en fuite3. Il est vrai que les niaiseries «christicoles» de l'auteur de l'Emile allaient à l'encontre de l'entreprise politique de déchristianisation de l'Encyclopédie, et que ses vaticinations sur la justice sociale avaient le tort de mettre en cause l'idéal voltairien d'un ordre social où le «grand nombre travaille pour le petit qui le gouverne». Lorsqu'on lit la correspondance de Proust, on est surpris de voir l'écrivain, qui n'a pas son pareil pour peindre la vanité et le snobisme du monde, pris en flagrant délit de vanité ou de snobisme. On a du mal à retrouver les professions de foi du narrateur de la Recherche sur la vocation littéraire dans les circonlocutions auxquelles Proust se livre dans sa correspondance pour se faire adouber par ce que le regretté Pierre Bourdieu aurait appelé le «champ littéraire». Tacticien, Proust fait jouer la concurrence entre Fasquelle et Gallimard. Malin, il sait qu'un parfum de scandale peut constituer un argument utile pour «lancer» son oe; uvre. Sous couvert d'avertir ses éditeurs éventuels, il les «ferre» en leur révélant que le baron de Charlus «n'est pas du tout l'amant de Madame Swann, mais un pédéraste» (à Gaston Gallimard, 5 novembre 1912) - et qui pis est, un pédéraste d'un style «assez neuf» puisqu'il s'agit d'un «pédéraste viril». Ce genre de révélation servait en fait l'oe; uvre pour laquelle Proust se démenait, «comme un père pour son enfant» (à Mme Straus, 10 novembre 1912). Si la correspondance des écrivains est «à littérarité variable», moins guindée que leur production proprement littéraire, elle témoigne souvent davantage de la vraie vie, et, même lorsqu'elle est mensongère, elle mérite, à ce titre au moins, qu'on y musarde.
1) Entretien avec Jules Huret paru dans L'Echo de Paris en 1891. 2) Erasme, De conscribendis epistolis (Sur l'art de composer des lettres), 1522. 3) Henri Guillemin, Cette affaire infernale, Utovie, 2003.
Bibliographie
Marcel Proust, Lettres, Plon, 2004.
Gustave Flaubert, Correspondance, Folio, 1998.
Abélard et Héloïse, Lettres, Le Livre de poche, 2007
Descartes, Correspondance avec Elisabeth, Garnier-Flammarion, 1989.
Mme de Sévigné, Lettres, Garnier-Flammarion, 2003.
Lettres portugaises, Le Livre de poche, 2003.
Vincent Kaufmann, L'équivoque épistolaire, Minuit, 1990.
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Un plaisir trop bref. Lettres
Truman Capote
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Source:http://www.lire.fr/enquete.asp?idc=51360&idR=200&idG=8